My Dark Angel – Chapitre 20

Publié le 15 juin 2013 par Artemissia Gold @SongeD1NuitDete
Elijah

— Celui-ci est parfait ! conclut Angel avec un large sourire en admirant la vue de la fenêtre de ce qu’elle considérait manifestement comme son futur appartement.

— Vous avez des commerces de premières nécessités en bas de la rue et le loyer reste relativement raisonnable, continua l’intarissable agent immobilier de sa voix nasillarde.

Cette femme blonde perchée sur des talons d’une hauteur improbable et engoncée dans un tailleur trop serré déclenchait inévitablement en moi une réaction épidermique dès qu’elle ouvrait la bouche. Etant donné qu’elle était incapable de se taire ne serait-ce qu’une demi-seconde, j’étais, au bout d’une semaine à la côtoyer au quotidien, à deux doigts de la réduire au silence de manière plus expéditive mais surtout définitive. J’envisageai sérieusement de m’en charger le jour même, sans doute parce qu’elle venait de trouver l’appartement idéal pour Angel et que cette dernière ne cachait pas son enthousiasme devant ce que l’harangueuse professionnelle qualifiait à tout va de « perle rare ».

— Il est beaucoup trop petit et la rue trop bruyante, décrétai-je alors qu’aucune des deux ne me demandait mon avis.

Alors qu’elles étaient toutes deux plantées devant la fenêtre, elles se retournèrent dans un mouvement parfaitement synchrone pour me fusiller du regard. L’agent immobilier remonta la monture épaisse et clinquante de ses lunettes sur l’arête de son nez qui venait de se froncer en une grimace des plus explicites. De toute évidence, on s’agaçait mutuellement. Et pour cause. Ce studio, qui contrairement à ce que je venais de dire était tout à fait convenable, était au moins le douzième appartement qu’elle nous proposait en une semaine et que je critiquais ouvertement. Si jusqu’à présent, Angel avait fini plus ou moins facilement par se rallier à mon opinion, quelque chose dans son expression furibonde me laissait présager que cette fois je n’obtiendrais par gain de cause.

— Clarisse, vous voulez bien nous excuser deux minutes ? la congédia Angel le plus poliment possible malgré son exaspération.

L’autre obtempéra. Avant de sortir, elle posa sur l’avant bras d’Angel une main compatissante qu’elle accompagna une mimique grotesque pour montrer sa solidarité contre l’épouvantable tyran que j’étais. Elle n’alla cependant pas loin. La porte refermée, je sentis sa présence derrière cette dernière. Elle ne voulait en aucun cas rater la remontée de bretelles que ma petite blonde énervée s’apprêtait à m’infliger. Et mon sourire faussement désolé n’y changea rien.

— Trop petit, trop bruyant, trop vétuste, pas assez lumineux, les voisins pas assez sympathiques….Trop…trop….pas assez…pas assez ! Je commence à me demander si vous voulez vraiment que je quitte mon appartement ! s’emporta-t-elle tout à fait en enfonçant les poings sur ses hanches.

En réalité c’était le mien que je ne voulais pas qu’elle quitte. A ma grande surprise, le sien la rebutait au point qu’elle avait accepté facilement mon invitation à rester chez moi le temps de trouver mieux. Moi qui vivais seul depuis si longtemps, je m’étais étonnement habitué sans mal à sa présence discrète. Les premiers jours, sa timidité naturelle avait repris le dessus la poussant à s’excuser dès qu’elle entrait dans une pièce dans laquelle j’étais ou lorsqu’elle laissait traîner quelque chose lui appartenant. Je trouvais cela charmant. Mais très vite, elle avait pris ses marques. Ma bibliothèque était devenue son univers. Chaque matin, je la retrouvais endormie sur l’un des canapés de cuir vieilli. Sans nous concerter, nous n’avions plus abordé notre passé commun dont l’évocation semblait la gêner autant que moi. J’aurais dû m’interroger sur la cause de ce malaise mais je préférais purement et simplement en occulter la raison. J’aimais sa présence à mes côtés et ne voulait pas que cela change : c’était tout ce qui m’importait.

— Quelle question ! Bien sûr que je veux que tu partes de là-bas mais je ne vois pas pourquoi il faudrait te jeter sur le premier appartement que cette femme veut te refiler, répliquai-je. D’autant que ce n’est pas comme si tu étais à la rue.

Elle fronça les sourcils mais son expression courroucée avait disparu.

— Je ne peux pas rester chez vous indéfiniment.

— Pourquoi ? Tu ne t’y sens pas à l’aise ?

— Si… ce n’est pas cela le problème…, bredouilla-t-elle en piquant du nez pour fixer la pointe de ses chaussures. Je ne veux pas vivre à vos crochets…

J’éludai l’objection d’un geste impatient de la main.

— Est-ce que je donne l’air d’avoir du mal à boucler les fins de mois ?

— Ce n’est pas qu’une question d’argent …

Je ne la laissai pas terminer sa phrase. Je m’approchai et saisis son visage baissé entre mes mains pour le relever.

— Alors je ne vois pas où est le problème, conclus-je.

Elle leva les yeux vers moi et me regarda avec perplexité. Il ne fallait pas être un génie pour deviner ce qui lui passait par la tête à ce moment-là. Elle se demandait probablement si j’étais stupide ou hypocrite au point de ne pas voir en quoi ma proposition était indécente ou si j’étais si sûr de ce que j’attendais de cette curieuse relation qu’il ne pouvait effectivement y avoir pour moi aucune équivoque entre nous. J’aurais aimé pouvoir dire qu’il s’agissait de la seconde mais la vérité était que je faisais preuve d’un aveuglement tout à fait volontaire et que je me mentais à moi-même depuis des jours. J’avais préféré attribué sa gêne et ses battements de cœurs qui s’accéléraient quand je m’approchais d’elle à une crainte pour le vampire que j’étais. Tout comme je mettais mes gestes de tendresse envers elle sur le compte d’une affection toute légitime. Les interpréter autrement m’était alors inconcevable et surtout dérangeant. Et ce moment précis était une parfaite illustration de cette ambiguïté dans laquelle je nous entraînais chaque jour un peu plus.

Des coups discrets à la porte vinrent rompre ce face à face que son silence prolongé commençait à rendre gênant. Je lâchai son visage que je tenais toujours et me détournai en me raclant la gorge. La tête de Clarisse apparut dans l’entrebâillement sans même qu’on lui dise de rentrer.

— Alors ? Avons-nous pris une décision ? nous demanda-t-elle avec condescendance.

J’hasardai un coup d’œil en direction d’Angel. Elle avait l’air complètement indécis. Elle jeta un dernier regard circulaire sur l’appartement avant de le poser sur moi:

— Je crois que l’on va arrêter là les visites d’appartements, déclara-t-elle.

— Vous le prenez donc ? s’enthousiasma Clarisse qui jubilait à l’idée de ne plus avoir à nous trimbaler dans toute la ville.

— Non, je suis désolée de vous avoir fait perdre votre temps.

Clarisse était déconfite. Elle me lança un regard noir auquel je ne pus m’empêcher de répondre par un sourire de satisfaction. Après cette énième déconvenue, elle ne s’éternisa guère avec nous. A peine avions-nous franchi la porte de l’immeuble qu’elle nous salua sèchement avant de s’engouffrer dans sa voiture. Angel et moi rejoignîmes la mienne en silence. Au moment où je lui ouvris la portière, elle émit un temps d’hésitation avant de rentrer à l’intérieur.

— Vous êtes vraiment sûr de vouloir me supporter au quotidien ? Parce que vous ne savez pas quelle épouvantable colocataire je peux être. Je vous préviens : encore quelques semaines et plus aucun de vos bouquins ne sera classé par ordre alphabétique, m’avertit-elle.

— Je pense que je pourrais y survivre, répliquai-je avec amusement.

— Mais je peux faire bien pire …

Elle laissa sa phrase en suspend et me toisa des pieds à la tête pour s’arrêter sur mon nœud de cravate qu’elle réajusta inutilement.

— Je pourrais aller fouiller dans votre penderie et mettre la cravate du lundi à la place de celle du vendredi, railla-t-elle avec un sourire malicieux absolument désarmant.

— Si tu fais une chose pareille, je me verrai dans l’obligation de sévir et de t’obliger à dormir dans ton lit et non plus sur le canapé de la bibliothèque, répliquai-je sur le même ton.

— Vous n’oseriez pas ! s’horrifia-t-elle faussement.

— Je suis un être cruel et sans cœur ne l’oublie pas.

Elle eut un rire bref et enjoué avant de reprendre vite son sérieux.

— Il faut que je retourne chez moi chercher quelques affaires et il y a une amie que je dois prévenir. Et surtout, je dois officiellement donner ma démission à Tony même si je doute qu’il m’accueille les bras ouverts après plus de deux semaines d’absences injustifiées.

— Nous irons après déjeuner. Je m’occupe de Tony pendant que tu rassembleras tes affaires.

Elle accueillit ma proposition avec un certain soulagement. Elle voulait de toute évidence tourner rapidement la page sur ce qu’avait été sa vie et je ne pouvais qu’en être ravi.

~*~

Nous arrivâmes comme convenu à son appartement dans l’après-midi. Une jeune femme rousse nous attendait déjà sur le perron.

— C’est Charlène, elle travaille au club elle aussi, m’informa Angel alors que je garais la voiture devant son immeuble.

— Je vous laisse toutes les deux : je vais rendre une visite de courtoisie à ton patron.

 J’adressai un salut de la tête à la jeune femme emmitouflée dans un manteau trop fin pour les températures glaciales de ce tout début d’année. Elle me rendit la pareille mais de manière si froide et si raide que je la soupçonnais d’avoir, avant même de me connaître, quelques griefs contre moi. J’attendis qu’elles aient disparu dans le hall de l’immeuble et je repartis en direction du club.

Bien entendu, Tony ne fit aucune difficulté pour régler ce qu’il devait à Angel. Bien qu’il ne se souvienne pas de moi, il fut sur la défensive dès que je pénétrai sans y être invité dans son bureau. Son arme qu’il gardait manifestement en permanence à portée de main apparut aussitôt sur son bureau. Il n’eut pas le temps de s’en servir que je le tenais déjà sous mon emprise. Une fois que j’obtins ce que je voulais de lui, je lui fis aussitôt oublier ma venue et repartis quelques minutes seulement après mon arrivée. Ce fut la dernière fois que je vis cette crapule en vie.

De retour à l’appartement d’Angel, je me figeai devant sa porte close. A l’intérieur, la discussion entre les deux femmes semblaient des plus animées, la voix rauque de Charlène supplantant aisément celle plus claire d’Angel. C’était très indiscret de ma part mais je ne résistai pas à la tentation de laisser traîner mon ouïe fine pour entendre leur conversation. Mes soupçons concernant l’antipathie que me vouait Charlène se confirma dès les premières paroles que je captai :

— Tu étais au trente sixième dessous à cause de ce salopard et une semaine plus tard tu m’annonces que tu emménages avec lui ! Tu es complètement jetée, ma parole ! s’énervait la rousse.

— Pas « avec lui », « chez lui », nuance, la corrigea Angel.

— Je t’en foutrais de la « nuance » moi ! Ouvre les yeux bon sang ! Tu ne connais ce type que depuis deux mois et tu as dit toi-même qu’il cachait quelque chose.

— Je t’assure que je sais maintenant tout ce qu’il a à savoir sur lui.

— Tous les hommes sont des tordus et celui-là ne fait sûrement pas exception. Il ne t’a sûrement pas invitée à venir chez lui pour passer ses soirées à jouer au Scrabble avec toi !

Bien qu’à sa place j’aurais réagi exactement de la même manière, les propos de Charlène commençaient à m’horripiler quelque peu. Je me décidai à entrer pour mettre fin à la discussion avant qu’elle ne parvienne à la faire douter. En me voyant entrer, Angel se mit à rougir. Elle se doutait que leur échange ne m’avait pas échappé. Elle bredouilla de brèves présentations tout en évitant soigneusement mon regard.

— Je suis enchanté Charlène, lui assurai-je en omettant de lui tendre une main qu’elle aurait sans doute refusé.

— Vous, je ne vous aime pas, m’annonça-t-elle sans ambages.

Affreusement embarrassée par la situation, Angel se dissimula le visage entre les mains en hochant la tête de dépit.

— Au moins, cela a le mérite d’être franc…, répliquai-je avec un sourire crispé.

— Je ne sais pas ce que vous lui avez fait pour qu’elle se mette dans un état pareil ni ce que vous avez bien pu lui raconter comme salades pour vous faire pardonner mais sachez que je vous ai à l’œil et que vous n’avez pas intérêt à la blesser à nouveau! me menaça-t-elle.

— Ce n’est pas du tout dans mes intentions, lui assurai-je le plus sérieusement du monde.

Elle ne me crut pas le moins du monde.

— De toute manière, je doute que je parvienne à te convaincre dans l’immédiat de ne pas emménager avec ce gus, reprit-t-elle à l’adresse d’Angel comme si je n’étais plus là. Quand tu redescendras sur terre, on pourra peut-être discuter en attendant je dois y aller.

— S’il te plait Charlène ne pars pas comme ça, la supplia Angel.

Mais ce fut peine perdue. Elle était bien résolue à partir pour ne plus avoir à supporter ma présence. Elle déposa un baiser rapide sur sa joue et l’enlaça.

— Donne-moi vite de tes nouvelles, lui lança-t-elle avant de disparaître dans les escaliers non sans m’avoir jeté un regard assassin au passage.

Restés à nouveau seuls, je dus alors faire face au soudain désarroi d’Angel.

— Si je lui disais la vérité, je suis sûre qu’elle garderait le secret et qu’elle…

— Non ! la coupai-je.

Je la sentais au bord des larmes et m’en voulus aussitôt de ma brusquerie.

— Charlène est importante pour moi : je ne veux pas perdre son amitié, ajouta-t-elle d’une voix étranglée.

— Je comprends, crois-moi, mais je ne t’autorise pas à lui révéler quoi que ce soit. Je suis désolé d’être aussi catégorique mais si tu acceptes d’entrer dans mon univers il y a certaines contraintes auxquelles tu devras te plier. Il est hors de question que tu mettes les gens qui t’entourent au courant dès qu’un souci de ce genre se présentera.

— Je devrais alors mentir sans arrêt ? réalisa-t-elle avec dépit.

— Tu peux encore changer d’avis aussi. Tu n’as plus de dettes, tu es débarrassée de ce travail. On peut rappeler Clarisse pour lui dire que tu prends l’appartement…

— Et vous disparaîtrez encore une fois, c’est cela ? m’interrompit-elle.

Je ne répondis pas mais mon silence était suffisamment éloquent.

— Tôt ou tard, je serai contraint de partir de New-York. Je me suis ces derniers temps beaucoup trop exposé à la vue de personnes qui auraient très bien pu me croiser il y a 20 ans. C’est imprudent de ma part. Je ne fais d’habitude que de brèves escapades ici et je ne m’affiche jamais en société. Je déroge à toutes mes règles depuis deux mois.

— Et qu’est-ce que je suis censée faire une fois que vous serez parti ? Faire comme si rien ne s’était passé ou peut-être que vous comptez me faire tout oublier à nouveau ? me demanda-t-elle en écrasant les larmes qui avaient fini par lui échapper. Vous me proposez de rester chez vous et quelques heures plus tard vous m’annoncez que de toute manière vous allez partir…. Je n’arrive pas à vous suivre ! Qu’est-ce que vous voulez à la fin ?

La question me prit au dépourvu tout autant que sa détresse et j’étais bien incapable de lui répondre. J’étais en pleine confusion. Ma raison me criait de mettre un terme à tout cela, de partir avant que les choses ne deviennent plus compliquées encore et de la laisser vivre une vie normale loin de tout ce qui touchait au surnaturel. Mais une autre partie de moi , celle-là même qui m’avait poussé à revenir dans sa vie au lieu de rester dans l’ombre, celle qui s’était réjouie lorsqu’elle avait découvert qui j’étais, celle qui s’apprêtait à lui faire une proposition encore plus insensée que celle d’emménager chez moi, m’encourageait au contraire à la faire plonger chaque jour un peu plus dans mon monde pour ne pas la perdre.

— Tu pourrais venir avec moi… Il y a tout un monde au delà des tours de New-York que je rêverais de te faire découvrir, hasardai-je alors que mon bon sens me hurlait de me taire.

Mais c’était trop tard. Elle me dévisagea un long moment complètement éberluée.

— Je ne peux pas prendre ce genre de décision comme ça : c’est trop tôt. Je viens juste d’apprendre qui vous êtes et je m’apprête à emménager chez vous. C’est déjà complètement dingue en soi….je ne peux pas…, paniqua-t-elle.

— Je ne te demande pas de prendre de décision maintenant, l’interrompis-je pour tenter de rattraper un tant soit peu ma maladresse. Rien ne presse, nous pouvons encore rester quelques temps.

Elle s’apaisa légèrement à ces paroles et acquiesça de la tête. Après une brève hésitation, elle s’approcha timidement et vint se blottir contre moi. Je ne cherchais pas à me dérober à son étreinte. Mes bras vinrent au contraire se refermer sur elle avec force comme si j’avais peur qu’elle ne m’échappe. Du très fond de mon esprit confus, j’entendais une voix de plus en plus étouffée qui me répétait encore et encore la même litanie. Il fallait que j’arrête cela. Je ne devais pas. Je n’avais pas le droit de ressentir cela. Pas pour elle…