Croire en la puissance des livres pour comprendre — ou mieux, à tout le moins — ce qui nous entoure. Jusque là, je n’avais que très peu lu Philippe Labro, hormis quelques articles et « Je connais gens de toutes sortes » qui m’avait laissé un bon souvenir.
Il a fallu que ça aille mal au plus près de moi pour que je lise son témoignage bouleversant : « Tomber sept fois, se relever huit ».
L’ancien grand patron de RTL, auquel tout réussissait, y raconte comment tout à coup il a sombré corps et âme dans la dépression. Il est salutaire pour une lecture moins apeurée de connaître la fin de l’histoire qui est contée. Philippe Labro s’est relevé. Le titre le promet et la suite de sa carrière en témoigne, faite de nouvelles émissions à la télévision, du lancement d’une chaîne sur le câble et d’autres livres qui ont suivi celui de 2005, dont le dernier, ces jours-ci : « Le flutiste invisible ».
A la page 3 du prologue, il écrit : « Je vais dire aussi qu’on peut en sortir, qu’on peut remonter, que la brisure se referme. Quant aux autres, qui n’ont pas été brisés, que ce récit puisse leur faire comprendre à quoi ça ressemble et pourquoi lorsqu’ils sont confrontés à ce mystère, il est nécessaire qu’il fasse preuve de beaucoup de patience, de compréhension et d’amour ».
Je ne résiste pas à l’envie de partager le chapitre 33…
« Un poète latin a écrit : “Il faut savoir accueillir ta douleur, car tu apprendras d’elle.”
Que devons-nous apprendre ? Que pourrais-je apprendre à celles et ceux qui me lisent ?
J’ai appris de cette douleur qu’il ne faut pas, à peine apparaît-elle, se réfugier dans le silence, l’interrogation, la gêne. Ça peut se reconnaître, une dépression. Pour les médecins, les symptômes sont typiques, répertoriés, évidents. Alors il ne faut surtout pas attendre pour consulter, surtout pas. Il faut laisser de côté votre orgueil, vos vanités ou vos scrupules, vos faux-semblants, vos mensonges et vos masques. Accepter la vérité, c’est déjà un remède. Consulter un médecin psychiatre ne constitue ni une faiblesse ni une tare. La dépression est une maladie. Ça se soigne. On en guérit.
Ceux qui vous aiment, laissez-les vous soutenir, n’ayez aucune honte à crier au secours, à réclamer de l’aide. Faites confiance aux autres puisque vous ne pouvez plus vous faire confiance. Faites confiance à leur amour, il sauve de tout.
Prenez vos médicaments dans une stricte et constante discipline, sans aucun écart, pendant tout le temps qu’il faudra et s’ils ne conviennent pas, si le traitement ne marche pas, changez-en. Le Prozac n’a pas fonctionné pour moi, il fonctionnait pour d’autres. L’Effexor n’a pas marché avec moi, il était efficace avec d’autres. L’Anafranil a marché. Chaque corps répond d’une manière différente à une molécule différente. Il faut trouver la bonne, mais il faut savoir ceci : elle existe.
N’hésitez pas à consulter un autre spécialiste, quitte à revenir, ensuite, à celui qui vous connaît et vous suit depuis le début.
Et quand cela commence à sembler aller mieux, n’abandonnez pas le traitement autrement qu’à un rythme lent, en suivant les conseils de prudence, de progressivité.
Le temps fait son œuvre. Le temps joue son rôle dans une guérison. Il faut être patient. Il faut savoir attendre, souffrir et donc faire preuve de courage.
Il faut raisonner avec soi-même. Ne pas s’isoler, ne pas s’enfermer dans une prison psychique, ne pas tomber amoureux de sa maladie, ne pas se complaire dans un chagrin qui assèche. Par conséquent, faire l’effort de se nourrir, même si l’on a pas faim, boire, même si l’on n’a pas soif. Tenter autant que possible de pratiquer un quelconque exercice physique. Ne pas se laisser partir à la dérive : une respiration, une expiration, un peu de marche, quelque chose. Ne pas donner à la broyeuse une trop grande chance de prendre possession de votre poitrine, votre ventre, vos muscles. Il faut lutter.
Il faut parler. Aux proches, s’ils sont capables d’écouter. A des professionnels, puisqu’ils savent le faire. Mais parlez, ne tombez pas dans le silence qui sépare des autres, ravage la vie quotidienne, peut détruire un environnement familial, un tissu relationnel. Et ne vous livrez pas à l’autodépréciation.
Il faut chercher la lucidité, comprendre que si ceux qui vous aiment ont supporté votre dépression si longtemps, avec autant de bienveillance et de commisération, d’entraide, c’est parce qu’ils vous aimaient, certes — mais aussi parce que vous ne valez pas totalement rien — alors arrêtez de vous auto-détruire.
Quelque chose de mystérieux qui s’appelle le retour de la volonté, la nécessité de corriger la faute, la prise de conscience de sa valeur, va surgir à un moment ou un autre. Rien n’est fatal, rien n’est définitif, tout est affaire d’énergie. Elle n’est jamais complètement éteinte. Et puis aussi, et enfin, il faut savoir que la chance peut intervenir. Et puis aussi et enfin, il reste ce que l’on appelle l’espoir.
Je sais bien et j’imagine aisément que ces quelques préceptes peuvent paraître “plus faciles à dire qu’à faire”, pour utiliser une formule passe-partout. Je sais que si l’on est prisonnier de la broyeuse, perdu au profond de ses ténèbres en pleine détresse, enserré par les corbeaux noirs de l’Inquiétude, on est capable de rejeter ces leçons et d’exprimer, dans un ricanement triste et résigné, je ne sais quel “cause toujours !”.
Mais je ne “cause” pas dans le vide, je ne m’exprime pas de nulle part, je crois savoir de quoi je parle. J’ai été ce que vous êtes. Vous serez ce que je suis. Je ne suis ni plus fort ni plus faible que vous. Je n’avais jamais rien connu de tel. Je l’ai vécu, j’en suis sorti, j’en reviens. Alors, à travers le rideau opaque de votre détresse, retenez ceci : une situation s’est dénouée ; j’ai été aimé et aidé ; un médicament a parfaitement convenu ; le temps a œuvré ; j’ai fait le reste. »