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[Fantasy] Le traceur de destinée

Publié le 19 juin 2013 par Flo

De temps immémoriaux, les prophéties faisaient état d’un artefact qui, une fois découvert, bouleverserait le monde. Le savoir et la puissance qu’il confèrerait à son possesseur dépasserait l’entendement des plus grands érudits. La révélation au grand jour de cet objet sacré marquerait le début d’une nouvelle ère.
Les moindres recoins des contrées les plus reculées et inhospitalières avaient été parcourues par les plus valeureux guerriers et les plus talentueux sorciers, ils n’avaient cependant pas encore mis la main sur ce trésor tant attendu.
Au fil des siècles et des recherches, l’on se rendit compte qu’il restait bien un endroit que nul homme sain d’esprit n’avait osé profaner : les terres acides. Il s’agissait d’un lieu empoisonné où se tenait, tapi dans l’ombre, le dernier dragon encore vivant. On n’osait guère le nommer ; les dragons avaient l’ouïe fine, disait-on, et il aurait pu y voir là un appel.
Ce monstre était si ancien qu’il avait assisté au commencement de ce monde ; il avait vu à l’œuvre les êtres fantastiques qui en avaient façonné les terres, creusé les mers et imaginé les créatures qui le peuplerait. Etait-ce de cette rencontre qu’il tirait tant de pouvoir ? On ne le saurait probablement jamais. Mais de nombreuses rumeurs faisaient état d’une multitude d’objets des premiers temps qu’il gardait jalousement dans son antre. Si l’artefact se trouvait quelque part, ce devait être là.
Un groupe de sorciers d’élite fut formé pour terrasser le dragon et récupérer ses trésors. Ou si la tâche se révélait impossible, ils ne feraient que distraire la bête au prix de leur vie pendant que l’artefact serait subtilisé et expédié par voie magique.

C’est ainsi que Pyros le sage se retrouva, avec quinze autres sorciers de renom – on n’avait guère lésiné sur les moyens – face à la caverne tant redoutée. Depuis trois jours que sa petite armée traversait les terres acides, l’air toxique lui piquait les poumons et la peau. Malgré toutes les barrières magiques qu’il pouvait dresser, la souillure des lieux parvenait à l’atteindre.
A peine avaient-ils foulé ces contrées maudites qu’ils oublièrent ce qu’une bonne nuit de sommeil signifiait ; le mal qui rodait ici perturbait toute vie. Ces trois derniers jours, ils n’avaient survécu que grâce à l’eau et à la nourriture qu’ils avaient emporté avec eux ; rien n’échappait à la pollution en ces terres et les rares germes de vie qui parvenaient à s’insinuer dans la rocaille stérile devenaient de fatals poisons. Il fallait faire vite. Attendre et observer était un luxe qui ne leur serait pas accordé. S’ils espéraient encore avoir quelque chance de réussir, il fallait agir sans plus tarder.
Les sorciers se dispersèrent comme convenu ; certains devinrent invisibles ; d’autres se mêlèrent à la roche, à moins qu’ils ne la traversassent simplement ; quant aux restants, de longues ailes membraneuses leur poussèrent dans le dos et pareilles à de géantes chauve-souris, s’élancèrent vers les entrées de cavernes trop hautes pour qu’on y accédât à pied.
Pyros, lui, se contenta d’avancer seul dans l’antre monstrueux, d’un pas affirmé. Il sentait la magie du dragon, aussi était-il facile de se diriger. Il s’agissait d’une présence si pesante et menaçante qu’elle gênait aussi bien la respiration, le mouvement que la réflexion. Il espérait que l’entraînement qu’ils avaient subi tous les seize serait suffisant.
Il s’enfonça ainsi au plus profond des entrailles de la roche avant de parvenir au repaire de la bête. Allongé au sol, le dragon paraissait endormi, mais il n’en était rien :
— Voilà maintenant que des vermisseaux osent s’introduire en mon antre. La vermine s’enhardit de nos jours !
Pyros resta silencieux. Il n’y avait rien à dire après tout. Sur ses gardes, il continua d’avancer.
— Je dois reconnaître qu’aussi frêle créature que tu sois, tu n’en es pas moins courageux de te dresser seul face à moi. Ne te méprends pas cependant, j’ai bien remarqué tes compagnons qui se croient dissimulés alentours.
Ainsi le dragon pouvait-il percevoir à travers la roche ou l’invisibilité. A moins qu’il ne fit que prétendre. Difficile de savoir à quoi s’attendre de la part d’une créature si vicieuse.
— Je suppose qu’il ne s’agit pas d’une visite de courtoisie ? Si tel est le cas, il aurait fallu me prévenir que je prépare un banquet digne de ce nom.
Le sorcier se dit que la pauvre bête devait être bien seule pour s’écouter parler de la sorte. Si les enjeux n’avaient pas été si cruciaux, il se serait peut-être laissé aller à éprouver de la pitié pour lui. Il n’avait pas imaginé donner de la réplique à un être si monstrueux ; il s’était plutôt attendu à subir une attaque immédiate, sans préambule.
— Autant être franc avec vous, messire dragon, se lança Pyros, si nous sommes venu déranger votre tranquillité méritée, c’est parce que nous sommes à la recherche de reliques des premiers temps. Si quelqu’un peut nous éclairer à ce sujet, ce ne peut être que vous. Et si d’aventure vous en possédiez, nous sommes prêts à vous fournir en échange ce qu’il vous plaira.
Le dragon ne bougea pas de sa position. Etait-il seulement là ou était-ce une simple illusion ? Les jeux d’ombres dans ces cavernes pouvaient aisément donner vie à ces replis de roches torturées.
— T’éclairer ? Pauvre petit être confus que voilà, soupira la créature sans âge. Voyons ce que je puis pour toi.
Joignant le geste à la parole, le dragon redressa le museau et cracha un geyser de flammes. L’on devrait d’ailleurs plutôt user du terme moucher puisque le feu avait jailli de ses narines et non de sa gueule. Ouvrir ses mâchoires pour un si piètre adversaire aurait été bien exagéré. Pyros leva un bouclier magique qui dévia le brasier sans grands efforts. S’il y avait bien un domaine que les seize sorciers avaient exploré dans ses moindres détails, c’était le feu. Un choix assez raisonnable quand on s’apprêtait à affronter un dragon. Ce dernier ne put s’empêcher d’ironiser :
— Cela t’a-t-il éclairé de quelque façon ? Sinon je peux essayer de mettre plus d’ardeur à la tâche.
Pyros n’avait pas jugé nécessaire de lancer l’offensive pour si peu. Il ne s’agissait là que d’un test, voire d’un simple jeu.
— Nous ne souhaitons point vous déranger, messire dragon, au contr…
— Cesse de m’appeler ainsi. J’ai un nom et j’entends bien qu’on l’utilise ! Stupides humains superstitieux ! Phxar, ce n’est pas si compliqué à retenir pour vos cervelles amoindries ?!
Le sorcier n’osa pas demandé l’orthographe précise du nom. Il essaierait simplement de reproduire le son mi-sifflant, mi-grinçant.
— Noble Phxar, pour ne point vous mentir, nous cherchons l’artefact. Cependant pour tout vous avouer, notre espoir de le trouver est bien mince. Vous en avez peut-être entendu parler, vous dont le savoir nous force à l’humilité ?
— Allons, il ne sert plus à rien de feindre l’ignorance. Nous savons tous deux que j’en ai non seulement entendu parler mais surtout que je le possède. Si tu crois me piéger à ce sujet, humain, tu te fourvoies. D’une, vous ne sauriez qu’en faire, et de deux, vous allez tous périr en ce jour !
Un vent brûlant se leva subitement. Il semblait émaner directement du dragon. L’on ne distinguait plus clairement ce dernier, l’air surchauffé autour de lui ondulait et déformait ses moindres détails. Réalisant que Phxar passait à l’offensive, Pyros lança une vague d’éclairs à son encontre. Les sorciers dissimulés alentour ne purent guère rater le signal et saisirent aussitôt l’occasion de déchaîner leurs pouvoirs. En l’espace d’un instant, tout ne fut que chaos et désolation. Le feu, la glace et la foudre jaillirent de toute part, noyant la réalité dans cette improbable association d’éléments. Puis la caverne ferma ses mâchoires rocheuses sur le dragon, ponctuant l’affrontement d’un grondement monstrueux.
La situation se calma aussi vite qu’elle avait dégénéré. Les sorciers apparurent d’un peu partout. Ils redoublaient d’efforts pour se protéger des débris qui ne cessaient de choir et pour maintenir les parois en place. Si l’antre du dragon s’effondrait complètement, il ne resterait rien de récupérable du trésor des premiers temps. De plus, certains d’entre eux ne maîtrisait pas assez la magie des roches pour s’y fondre sans blessure. Sans oublier que, comme l’eau, il ne suffisait pas d’y plonger pour être à l’abri, il fallait également pouvoir y respirer et y voir pour s’en sortir.
Si c’était possible, un grondement plus sinistre encore que le précédent roula dans l’air saturé de poussière. Phxar avait survécu et entendait être clair à ce sujet ainsi qu’à propos de ses intentions. Dans la confusion générale, ces pauvres humains s’étaient mépris sur le sens des mots « vous allez tous périr ». Il se ferait un devoir de lever les doutes – s’il pouvait y en avoir – quant à leur signification. De nos jours, un quiproquo était bien vite arrivé.
— Si vous espériez avoir quelque infime chance de me vaincre, il ne fallait surtout pas vous retenir, pitoyables rampants. Mais vous craignez trop de briser votre précieux artefact. Présomptueux que vous êtes ! Vous ne sauriez quoi en faire si vous l’aviez entre les mains !
Le dragon s’était ainsi adressé, enseveli sous les décombres de pierres et stalactites entassées. Cette abomination savait donc communiquer directement par l’esprit. A quel pouvoir étaient-ils venus se mesurer ? Convoiter le savoir légué par les anciens les avait menés à leur perte. Ce savoir méritait peut-être l’oubli.
Un fouet dardé de pics jaillit des gravats et cueillit trois sorciers en un battement de cils. L’on ne s’attendait pas à des mouvements si vifs de la part d’un animal si colossal. Le dragon bondit hors de la roche et, aussi leste et précis qu’un chat, élimina un à un ses adversaires jouant aussi bien de ses griffes, de ses crocs que de sa queue hérissée. Les attaques pleuvaient évidemment sur la cuirasse de la créature, mais rien ne semblait la blesser ou même seulement la ralentir. Feu, glace ou métal, tout ricochait ou se brisait en vain.
Avant de périr, certains sorciers parvinrent à invoquer des golems depuis leur essence vitale. Le terrible coût leur paraissait infime sitôt confrontés à leur mort imminente. Les minéraux et la magie dont ils étaient composés les rendaient infiniment plus résistants qu’un simple corps humain. Ils ne furent malgré tout qu’un contretemps. Bientôt il n’y eu plus d’adversaire pour se dresser face au dragon. Celui-ci contempla un instant le champ de bataille d’un air satisfait et reprit la position assoupi qu’il avait avant qu’on le dérangeât.
— Ainsi, tu crois qu’un dragon ne saurait pas compter ? J’ai eu tout le loisir de mémoriser ton visage Pyros et je sais que tu as réussi à m’échapper.
Il fit grincer ses griffes sur la roche avant de poursuivre :
— Ces golems t’ont accordé un répit suffisant pour te dissimuler assez habilement, dois-je avouer. Mais il te faudra bien remuer, si tu veux sortir d’ici et j’arriverai à te localiser. Je suis assez impressionné par ta technique d’occultation magique. Je jurerais qu’il n’y a ici personne d’autre que moi. J’imagine également qu’il te faudra tôt ou tard succomber au sommeil. Ton petit tour de passe-passe sera-t-il aussi efficace quand tu dormiras ?
Phxar attendit ainsi plusieurs heures, lança de temps à autre une provocation ou un mot d’esprit qui pourrait trahir Pyros. Le dragon préférait ce jeu de patience à la tâche ingrate qui aurait consisté à soulever chaque pierre et inspecter le moindre interstice où le sorcier aurait pu se faufiler.
Puis un vent inhabituel se leva soudain. Le dragon fut pris malgré-lui d’une violente toux.
— Que manigances-tu encore, sorcier ? Tu comptes me terrasser à coups de courant d’air ?! On ne peut ignorer chez toi un humour certain. Si tu n’avais…
Le monstre écailleux s’interrompit pour cracher une flaque de sang fumant au sol.
— Que ? Où es-tu vermisseau ?!
Sur ce dernier rugissement, il balaya la caverne d’un geyser de flammes. Il ne parvenait cependant plus à maintenir son souffle igné. Il dut s’interrompre à de nombreuses reprises pour tousser ou cracher du sang.
— Ca ne te mènera à rien, stupide humain ! Ces anciens que… que tu vénères en dieu n’étaient rien d’au… d’autres que des humains comme toi et moi. Leur magie déchue n’a rien apporté à ce monde. Elle n’a… elle n’a su créer que des aberra…
La fin de sa phrase se noya dans le vomi sanguinolent qui surgit de la gueule du dragon. Le liquide carmin commençait à suinter de sous ses écailles et de ses yeux vitreux. Puis tremblant de tous ses membres, il s’étala lourdement au sol dans un bruit visqueux.
Pyros aurait bien profité de cet instant pour narguer Phxar en lui dévoilant quelle technique il avait utilisé pour le vaincre, il préféra cependant s’assurer de sa mort. Cela n’aurait pourtant été que justice après le massacre de ses quinze compagnons. Or s’il se faisait tuer en se révélant trop tôt, à qui cela rendrait-il justice ? Il y avait trop en jeu pour risquer quoi que ce fût.
Dès qu’il avait passé l’entrée de la caverne, Pyros avait graduellement augmenté la pression de l’air. Chacun des sorciers avait eu pour consigne de protéger ses poumons contre ce sort. Quand ils étaient arrivés face au dragon, l’air était déjà cinq fois plus dense. Pyros n’avait pas pris part à l’affrontement général. Dès qu’il en avait eu la possibilité, il s’était caché et avait maintenu son sortilège de compression, si bien qu’avant de tout relâcher brutalement, l’air avait la consistance d’une vingtaine d’atmosphères. De très anciens grimoires, écrits dans d’étranges langages, expliquaient comment les poumons s’adaptaient aisément à l’augmentation progressive de la densité de l’air, mais que des dommages irréparables étaient infligés s’ils subissaient une décompression trop rapide. La cuirasse du dragon était une protection infranchissable, or rien ne le protégeait d’une attaque intérieure.
Phxar avait rendu son dernier souffle depuis quelques minutes déjà, quand Pyros s’extirpa de l’anfractuosité où il s’était glissé à grands renforts de contorsions. Il ne restait plus qu’à trouver l’objet qui avait causé tant d’horreurs et de violence. Heureusement, le dragon avait bien fait les choses et juste derrière sa carcasse sanguinolente se tenait l’entrée d’une salle au trésor particulièrement bien rangée. Des objets d’un autre temps s’y trouvaient alignés aux côtés de pierres et de métaux précieux. Trouver l’artefact aurait pu prendre des jours et des jours dans un tel étalage de richesse, mais par chance, celui-ci était si singulier qu’on le remarquait au premier regard. Il ne ressemblait à rien de ce qu’on pouvait fabriquer de nos jours. Il s’agissait de toute évidence d’une baguette magique. Cependant aucune main humaine ne pouvait avoir conçu un tel objet. Il était trop étrange, trop régulier et lisse – si l’on omettait les quelques mots en langage ancien tracés sur le manche.
Pyros tenta de sonder l’objet grâce à sa magie, en vain. Il ne perçut rien si ce n’était un grand vide. Il chercha à lancer un simple sort de flamme en usant de la baguette, rien ne se produisit. Les sages spécialisés dans l’étude des reliques des premiers temps sauraient certainement en tirer savoir et puissance. L’artefact devait révolutionner le monde et la vision qu’on en avait. Pyros avait rempli son rôle en le récupérant au péril de sa vie. Il ne souhaitait pas en plus endosser la responsabilité de bouleverser les croyances et l’avenir de peuples entiers.
Il lui fallut presque un mois pour rentrer à Noll’edge, la cité du savoir et de l’érudition qui avait organisé la mission de récupération. L’aller, l’affrontement et les terres acides l’avaient grandement affaibli et il s’estimait heureux d’être rentré vivant.
La baguette magique fut étudiée avec minutie et prudence. Un accident pouvait facilement arriver avec un objet magique au pouvoir si grand. L’extrémité de l’artefact semblait se détacher, mais on n’osa pas l’ouvrir avant d’avoir traduit les quelques mots qui y étaient écrits. Il pouvait s’agit d’un avertissement, aucun risque ne pouvait être pris.
Puis on mit la main sur un vieux grimoire qui semblait apporter quelques réponses quant à la signification de ce langage obscure. C’était un labeur de longue haleine et beaucoup passèrent des nuits blanches à déchiffrer le message, sans résultat probant. Bien que ce ne fût pas son intention initiale, Pyros avait beaucoup aidé. Il ne souhaitait pas avoir sacrifié tant de vies pour une baguette inutilisable.
Un matin, l’un des mages s’écria – ce qui était inhabituel en soi, étant donné leur faculté à tout accepter avec équanimité :
— J’ai trouvé ! C’est assez incompréhensible, mais je crois pouvoir lire et traduire ce qui est écrit !
L’on se rassembla autour de lui alors qu’il commençait à balbutier :
— Unli… unlimited ink system, radiation proof, bic. Et sur la partie détachable : don’t swal… swallow.
Fier de sa trouvaille, celui-ci laissa planer un court silence avant de reprendre :
— Ca signifierait : « système d’encre illimitée, résistant aux radiations » pour le premier groupe de mots et « ne pas avaler » pour le second. Par contre, je n’ai toujours pas trouvé de traduction pour « bic ».
Tous furent d’abord abasourdis, puis certains éprouvèrent de la colère : « évidemment qu’on ne va pas avaler une baguette ! », d’autres, un profond désespoir et une infime minorité cherchait encore à donner du sens à tout ça. Ils prirent le risque d’ôter l’extrémité. La baguette disposait d’une pointe noire. L’un d’eux prit le risque de toucher celle-ci et se retrouva avec le doigt noirci.
— Ce n’est pas une baguette magique, mais une plume pour… pour écrire.


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