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Vive la banqueroute !

Publié le 20 juin 2013 par Despasperdus

« Je crois que nous vivons une époque intellectuellement déréglée, et que le travail de rectification à opérer est immense » (Frédéric Lordon)

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C'est la conclusion de l'interview de Frédéric Lordon, économiste hétérodoxe, qui clôt Vive la banqueroute !, ouvrage collectif réalisé sous la direction de Thomas Morel et François Ruffin (de Fakir).

Le travail de rectification contre l'idéologie dominante est l'objet même de ce bouquin. La domination du néolibéralisme se résume par la célèbre formule de M. Thatcher : There is no alternative. TINA interdit de penser une autre politique et d'explorer d'autres voies; le dogme s'est transformé en réalisme et en évidence et, par conséquent, toute pensée déviante ou opposée est considérée comme irréaliste, idéologique, démagogique...

Cette doctrine économique dont les fondements sont la lutte contre l'inflation, la déréglementation, la monnaie forte, la réduction du rôle de l’État dans la sphère économique via des politiques d'austérité et des réformes de régression sociale et de dérégulation, est appliquée depuis plus de trente ans avec les résultats suivants : chômage de masse, précarité sociale, inégalités croissantes, marchandisation de tous les domaines d'activité, dumping social, explosions des dettes publiques.

Depuis la crise des subprimes, les néolibéraux sont obnubilés par la lutte contre les déficits publics et le remboursement de la dette publique au nom de la compétitivité du pays, des générations futures, de l'assainissement de l'économie... Le remboursement de la dette publique semble une évidence, quelque chose de naturel et normal, n'est-ce-pas ?

Or, Vive la banqueroute! démontre le contraire en s'appuyant sur des faits historiques, en l’occurrence sur dix périodes qui vont de Philippe Le Bel à De Gaulle en passant par Poincaré, où l’État a sciemment choisi la banqueroute plutôt que le remboursement intégral de ses dettes, pour les raisons suivantes :

  • le choix de l'intérêt général : le remboursement de la dette pèse sur la multitude, c'est-à-dire sur le peuple et en dernier ressort sur le pays, son économie et ses finances. L'austérité, quelles que soient les décisions prises, est cause de pauvreté générale et de ralentissement économique pour le profit d'une minorité de créanciers et de rentiers qui ne créent pas de richesses. En ne remboursant pas toute la dette, l’État libère le peuple et l'économie d'un trop lourd fardeau.
  • le choix de la justice : le peuple n'est pas responsable de l'endettement public puisqu'il n'a jamais vécu dans l'opulence. Alors, pourquoi le punir en lui imposant des sacrifices ? La responsabilité d'une importante dette trouve sa source dans la corruption, les délits d'initiés, les exonérations fiscales pour une minorité de privilégiés, ou des comportements à un haut niveau de l’État qui privilégient des intérêts privés à l'intérêt général. Généralement, les créanciers ne sont même pas ruinés par une banqueroute tant ils ont largement profité des largesses de l’État.
  • le choix de la raison : une dette trop importante est impossible à rembourser dans son intégralité. C'est donc folie de vouloir la rembourser. Il est bien plus préférable pour le pays et son peuple que l’État décide et organise lui-même, à l'instar des gouvernants français de Le Bel à De Gaulle en passant par Poincaré, sa banqueroute en imposant ses propres conditions (annulation de la majeure de la dette, choix de l'inflation, etc) à ses créanciers, plutôt que d'être mis en banqueroute après avoir vainement tenté de rembourser sa dette (comme la Grèce).

La lecture de Vive la banqueroute ! est à la fois instructive parce qu'elle donne des armes pour lutter contre les idées reçues du néolibéralisme, et passionnante parce qu'elle montre combien, à travers les siècles, malgré la puissance de l'oligarchie de l'époque, les gouvernants ont malgré tout, malgré leur classe, choisi la seule solution pour sauver le pays :

« La banqueroute est nécessaire une fois tous les siècles, afin de mettre l’État au pair. » (Abbé Terray)

Un livre incontournable...

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