Magazine Journal intime

Le rempart de l’exception

Publié le 25 juin 2013 par Insideamerica

Maison-Radio

La Maison de la Radio à Paris s’élève comme une une citadelle imprenable. La Seine protège son entrée sud, telle la douve d’un château fort. Au nord, un renforcement des remparts prévient toute attaque terrestre. Isolé en son centre, le fier donjon porte les armes de son seigneur et maître : L’Office de Radiodiffusion-Télévision Française*. La Maison de la Radio est à Paris ce que le Pentagone est à Washington. Un édifice conçu pour défendre les intérêts les plus sensibles de la nation. Sa sécurité, sa culture.

A l’heure des négociations commerciales Europe – Etats-Unis, l’ironie veut aussi que la Maison de la Radio soit construite à deux pas du Pont de Grenelle et de la réplique parisienne de la Statue de la Liberté. Car avant même l’ouverture des négociations, c’est de la citadelle parisienne qu’est partie la première salve à destination de l’Amérique : au nom de l’exception française, l’échange de biens culturels ne saurait faire partie des négociations. Point c’est tout.

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Pour ce que j’en ai lu, la presse française sur l’Internet sans frontières est unanime à saluer la “victoire” (pour autant que l’on puisse parler de victoire avant d’engager toute discussion). Une fois encore, le rempart de l’exception culturelle française aura réussi à protéger le pays.

Et c’est vrai que l’exception, ça a du bon ! Depuis vingt ans, le cinéma français résiste encore et toujours à l’envahisseur. Seul contre Hollywood et Bollywood**, il se maintient à la troisième place de l’industrie mondiale, qu’il a d’ailleurs inventé. Grâce à un système de subvention unique au monde,  ses producteurs bénéficient « d’avance sur recettes » pour aider le financement de créations indépendantes prometteuses ; ses employés peuvent se consacrer corps et âmes à leur art ne fusse que pour quelques mois par an, ayant l’assurance d’un revenu minimum garanti par la caisse des intermittents du spectacle ; ses distributeurs jouissent d’une part de marché de 60% minimum garantie par la loi, grâce aux quotas de diffusion. Les films, la musique, les livres, les musées et expositions : l’exception culturelle soutient toutes les créations, à l’abris de la loi du marché et de la concurrence.

On est bien chez soi. La France n’est pas prête de parler anglais, et si Amazon, Netflix, Apple et Google veulent inonder le pays de videos à la demande, il leur faudra en trouver une bonne moitié made in France. Na!

Cette vision de l’exception culturelle remporte l’adhésion d’une majorité de français. J’en ai été un fervent défenseur également. Il y a dix ans. Mais aujourd’hui, j’ai un problème d’exception. Traitez-moi d’expat, de vendu, ou d’émigré : cette exception française n’a aujourd’hui plus aucun sens pour moi. Question de temps, de technologie, et de perspective.

L’exception culturelle est un rempart. Vu de l’intérieur, il nous protège des assauts de la culture dominante, américaine ou “globalisée”. On se réjouit de l’idée que nos enfants accèdent plus facilement à La Recherche du Temps Perdu que de perdre leur temps à accéder aux derniers épisode du Trône de Fer (Game of Thrones). La réalité est qu’il nous isole. De l’extérieur, on ne voit pas l’intérieur de l’enceinte. De l’autre côté du rempart, rien ne transpire. Après sept ans à l’étranger, la culture française est devenue un exotisme. Diffusion interdite des oeuvres françaises sur Internet (y compris même certaines émission d’info, comme un certain débat à l’élection présidentielle !), films français mal distribués, sans doublage, pas de traduction des auteurs français, et pas de diffusion de musique française depuis Charles Aznavour. Rien. Absolument rien.

La peur de l’étranger a pris le dessus sur l’envie de gagner le monde. Comme si l’on ne concevait plus, en France, qu’il soit possible que notre culture s’exporte avec succès. La culture, la marque de fabrique de la France au cours des deux derniers siècles, l’instrument de sa gloire et de son rayonnement dans le monde, est subitement confinée aux limites de l’hexagone.

Quand au nom de l’exception culturelle, Sarkozy interdit à Google de « piller » la Bibliothèque Nationale de France pour offrir au monde une version numérique de nos plus grands ouvrages, c’est un rayon de culture française de moins qui éclaire le monde. Au nom de l’exception culturelle et par la posture d’un ministre, le contenu français de Dailymotion ne profitera pas du marketing de Yahoo! aux Etats-Unis. Au nom de l’exception culturelle, les collections du Louvre ne peuvent bénéficier du soutien financier nécessaire pour circuler dans le monde comme celle du Getty ou du MoMa. La culture française est sauve, mais il en coûte de traverser le rempart pour venir l’apprécier.

Apprécier quoi au fait ? L’exception culturelle produit-elle une culture exceptionnelle ? Est-on si certain de la qualité exceptionnelle de notre culture pour ne pas risquer le mélange ? Qui sont ces nouveaux penseurs, héritiers de Sartre et de Baudelaire ? Ceux qui “franchissent le rempart” comme Bernard Henry Levy (il parle anglais et bénéficie donc de quelques micros de ce côté de l’Atlantique) font exception, mais peinent à se montrer exceptionnels.

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Mais je m’égare. L’idée, celle d’une culture subventionnée, est une grande idée. Il reste même des Américains pour la défendre (Steven Spielberg en tête !). Mais l’idée d’une exception tournant à l’isolement me désole. Si elle a un sens, l’intervention de l’Etat dans la culture ne devrait pas être de gonfler les rangs d’intermittents du spectacle à la recherche de temps subventionné pour réfléchir à leur talent. Elle ne doit pas être de choisir pour vous les films de “qualité” qui méritent une avance. Ici, cela s’appelle au pire de la censure, et au mieux du trafic d’influence. Non, si elle a un sens, l’intervention de l’Etat devrait être de soutenir le rayonnement de la culture française. De jouer son rôle de mécène pour promouvoir, et non défendre, la culture française.

La “bonne” culture n’a pas besoin qu’on la défende. Elle a besoin de traités commerciaux internationaux pour offrir une distribution équitable de la production cinématographique française aux Etats-Unis. Car ne vous y trompez pas, l’Amérique ne reste pas sans réagir. Ici, la loi anti-exception-culturelle-française oblige les distributeurs de films français à diffuser les films dans leur langue originale. Autant dire que personne ne va voir un film EN français. Le doublage en anglais est … interdit ! Quand les films sont bons, Hollywood en fait donc des « remake » avec des acteurs américains, et les scénarios sont américanisés. Trois Hommes et un Coufin et  Le Diner de Cons se transforment ainsi en comédies hollywoodiennes insipides, à mille lieues de la culture française qu’ils représentent. Si « The Artist » est le seul film français à avoir connu un succès commercial aux Etats-Unis (preuve que la culture est capable de rayonner sans défense !), c’est que c’était un film… muet !

Plutôt que d’exiger le retrait de la culture des négociations commerciales, n’aurait-il pas été plus intéressant de négocier une levée de cette interdiction du doublage aux Etats-Unis, en contre-partie de 10 ou 20% de réduction des quotas de diffusion de films étrangers en France ? Qui serait sorti réellement « vainqueur » de cette négociation ? Les producteurs français, à qui on ouvrirait un marché de 350 millions d’Américains amoureux –mais privés– de culture française, ou les studios américains, dont toutes les séries TV sont diffusées en France quoi qu’il arrive, légalement ou piratées sur Internet ?

A l’heure d’Internet et du satellite, l’Etat ne ferait-il pas mieux d’aider quelques chaines de télé à être diffusées dans le monde ? Pourquoi France 24 et TV5 font-elles partie des coûteux bouquets de chaines « premium » quand BBC America et Al Jezeera sont diffusées gratuitement ? La culture, c’est aussi l’information ! Même au sacrifice d’une chaine d’info en langue anglaise, Al Jezeera reste un formidable véhicule de culture arabe. Pas France 24.

La position française est une posture électorale. Elle flâte l’idée que l’on a su résister. Elle est conforme à l’idée française qu’une négociation se termine toujours par un gagnant et un perdant. Mais elle est irrationnelle, et en cela, elle est stupide. Elle prive la France d’un partenariat gagnant-gagnant et offre aux Américains un atout avant même le début des négociations.  Qui fera les frais de l’ultimatum français ? L’automobile ? Le train à grande vitesse ? L’aéronautique ? Ne nous y trompons pas, pour un Américain, rien n’est jamais exclu d’une négociation. Leur concession sur l’exception culturelle française saura trouver une contre-partie ailleurs…

* Euh… Pardon. Depuis que Télévision Française 1, l’ainé des rejetons de la seigneurie, s’est construit son propre donjon de l’autre côté de la Seine, je crois qu’on dit maintenant “Radio France”.

** à Mombai, Inde


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