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Mutation

Publié le 26 juin 2013 par Jlk

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C'est avec ses Fantômes que Jérôme Meizoz s'approche le mieux de sa réalité par les mots, qui disent aussi la nôtre. Sa réalité est celle d'un fils de gens simples, père austère et mère jetée sous le train sans explication, famille valaisanne entre deux sociétés (le Valais de bois de Chappaz et le nouveau monde en formica où se pointent les groupes de jeunes gens à guitares électriques d'Alain Bagnoud), dont le parcours scolaire et académique a croisé celui de Pierre Bourdieu, autre fils d'en bas monté dans les hauts étages du savoir et du prestige social.

Meizoz m'énerve quand il fait son bourdieusard. La sociologie littéraire, depuis Goldmann et Lefebvre, que je lisais volontiers à vingt ans, m'a toujours attiré et révulsé, tant son côté boîte à outils me semblait sommaire, et Meizoz me donne en somme raison, à son corps défendant, quand il raconte ses fantômes de famille et de village et de visages de maisons. Le constat serait d'ailleurs tout pareil pour son compère Maggetti Daniele, encore plus bourdieusard que lui et plus avide d'établissement social, avec pourtant un bon fonds villageois de Suisse italien catho.

Les détails minimalistes des récits de Jérôme Meizoz ont la fine précision de gravures sur bois, comme ceux du Grison Cla Biert ou du Tessinois Maggetti. L'Europe des cultures commence là. L'Europe des diversités commence dans ces villages en attendant de se frotter à la ville. Contrairement à Ramuz, trop vite et trop farouchement replié sur son carré de terre qu'il s'est mis à sarcler de haut en bas dès qu'il a flairé le danger de la ville (sa pétoche se ressent dès Circonstances de la vie où Lausanne et son casino sont perçus comme Las Vegas ou Babylone), nos bourdieusards iront vers la ville bien sapés et cravatés mais le fruit et la bête de leurs écrits restent chez eux villageois.

L'important est de savoir si la littérature y trouve son compte et son content.Or cela me semble évident chez les deux lascars.

Chez Jérôme, la mère réapparaît en lumière au milieu des fantômes en sarabande. "Il n'y a plus de peine maintenant parce qu'il reste en nous le meilleur de toi", écrit le fils scribe qui, d'un autre moment de sa jeunesse au bled, retient l'engueulade, avec ses tantes réprimandières,  de son frère carabin qui menace le clan de ramener des étrangères et fume d'étranges herbes en se préparant à faire médecin.

Le cercle des maisons va forcément s'ouvrir après le formica et la télé, mais le vieux pays regimbe et les tantes se raccrochent à leurs bribes de bréviaire...

La maison, le village, les villes d’en bas où l’on va travailler, la mer en Italie où l’on découvre une autre sensualité et la « petite marchande » de fraîcheur qui vend sa glace au chant de « coco bello », L’Invisible musicien de rue roumain revenant du sud au nord et qui se fait à tout coup humilier par les douaniers, le flux de la marée des matinaux dans la ville qui les rejette à la Tombée du jour, ou l’autre va-et-vient, dans Retour qui vaille, du prof travaillant en ville là-bas et remontant en fin de semaine par les trains de moins en moins bondés jusque là-haut au village de l’enfance et à la maison mère: ainsi va ce livre jusqu’au dernier motif de l’écrivain allant et venant entre le pré où il manie la faux de ses pères et sa table de griot de la tribu, tout cela respirant bien, finement noté, pas loin du Pavese des Langhe voisines... J

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Jérôme Meizoz. Fantômes. Dessins de Zivo.  Editions d'En Bas, 2010.

(Extrait d'un livre en chantier)


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