Capitalomunisme

Publié le 03 juillet 2013 par Insideamerica

Etes-vous satisfait de la direction du pays ? Votre situation économique personnelle est-elle bonne ou mauvaise ? Pensez-vous que les gens s’en sortent mieux dans une économie de marché ? Si vous répondez positivement à ces trois questions, la probabilité que vous soyez chinois dépasse 80%*.

Et non, la Chine n’a pas tourné le dos au communisme. On n’y connait pas d’élection démocratique. Le pays reste dirigé par une méritocratie sélectionnée au sein d’un parti unique. La liberté, l’initiative, le droit de s’exprimer et d’entreprendre y sont fortement encadrés, et les écarts fortement réprimés. Pour autant, et selon ces critères, la Chine est “heureuse”. Satisfaite de sa condition, et optimiste sur son avenir.

Interrogés sur les mêmes critères, plus de 70% des Français ne croient pas dans la direction du pays, plus de 80% pensent que la situation économique du pays est mauvaise, et ils ne sont plus que 58% à reconnaitre les effets positifs d’une économie de marché. La Turquie, l’Egypte, la Russie, et la Jordanie sont toutes plus optimistes sur leur situation et confiantes dans leur avenir –et de façon très significative. Comme la Chine, aucun de ces pays ne jouit d’une démocratie et de libertés aussi établies qu’en France.

Quant aux Américains, même s’ils sont plus optimistes que les Français quant à leur situation et la direction du pays, ils ne sont “que” 67% à se trouver  mieux dans une économie de marché. L’hyper-puissance capitaliste mondiale moins confiante dans l’économie de marché que des communistes. Tout fout le camp.

Mais ce qui frappe le plus dans ce baromètre mondial, c’est le contraste entre la confiance exprimée par les opinions des pays autoritaires et la désorientation des opinions démocratiques. De toute évidence, il ne suffit plus d’opposer capitalisme et communisme pour expliquer la bonne ou mauvaise santé économique d’un pays. A divers degrés, l’économie de marché s’est imposée dans les deux systèmes. Ce qui est mis en question, c’est la vertu démocratique. L’idée prévalante en France comme aux Etats-Unis qu’une solide démocratie est le pré-requis du développement et de l’éradication de la misère.

L’optimisme écrasant de l’opinion chinoise en 2012 nous force à réviser nos clichés. Dans toute leur horreur, les images de Tiananmen en 1989 étaient somme toute  rassurantes pour nos démocraties. Certes, la Chine était en route vers un succès économique sans précédent, mais au moins, les chinois souffraient. Ils n’auraient pas la démocratie pour profiter leur richesse. Preuve était faite que sans démocratie, l’économie de marché mène droit à l’esclavage.

Près de 25 ans ont passés (oui ! vingt cinq ans !). La Chine a sorti plus d’un milliard d’habitants de l’absolue pauvreté. Au rythme actuel, elle sera la première puissance économique du monde dans moins de dix ans, devant les Etats-Unis. L’économie de marché s’y est développé sur le terreau fertile du communisme, sans représentation démocratique. Et pire que tout : les chinois en semblent désormais heureux !

Notre arrogance démocratique, notre incorrigible compassion républicaine, et l’universalité de nos Droits de l’Homme en prennent un coup. “Le Phare de la Liberté éclairant le Monde” doit maintenant se tourner vers l’intérieur. Si la France est malade, et si l’Amérique est convalescente de ses crises successives, la cause n’en est pas l’économie de marché. Peut-être faut-il regarder du côté de nos institution démocratiques, de l’impotence de nos politiciens et leur incapacité à réguler, de l’inconstance des électeurs et de leur insistance placer toute représentation démocratique en incapacité de gouverner, élection après élection. Peut-être ce n’est pas le capitalisme qui est malade. Il se porte très bien en Chine, merci. Mais la démocratie ?

* Pew Research, Global Attitudes 2012** La vidéo en début de cet article présente Eric X Li, un venture capitaliste chinois (si ! si ! c’est possible !). De Shanghai où il est établi, à la Californie où il a étudié, il porte un regard provocateur sur la supériorité supposée des démocraties sur le système communiste chinois. Leçon “d’humilité” chinoise…