...que j'ai pour toi
Le dessinateur portugais Paulo Monteiro donne dans cet album une suite de petits textes lyriques
Le plus sceptique des modernes quant à la possibilité de l’amour humain, Shakespeare, déversant sa pensée corrosive sur ce plan, n'a plus laissé après ce bain d’acide que quelques vagues traits aussi indécis qu’un dessin de Bonnard. Shakespeare illustre que l’amour n’est qu’un remède au vague à l’âme bourgeois, qui par ce moyen refoule la mort parmi les choses inconscientes. La mort est une borne, que la spéculation amoureuse a le don de repousser à l’infini, de façon artificielle.
L’intérêt du bouquin de Monteiro, qui de façon judicieuse a placé un bouc en couverture, est de traiter surtout de l’amour filial, où le sublime amoureux se situe, bien plus que dans le coït conjugal banal, bien trop terre-à-terre pour fonder une véritable religion.
Paulo Monteiro évoque son amour pour son père, sa puissante vertu tutélaire jusqu’à la mort de celui-ci, précédé par l’étiolement de ses forces dû à l’âge. Il dessine un rapport amoureux, dans le chapitre consacré à la relation avec son père, qui repose d’abord sur la force que l’appui de son créateur lui procure, avant de devenir «infini», quand celui qu’on croyait immortel ne peut plus servir d’appui. Nostalgie et mémoire deviennent alors le fondement, moins net, de l’espoir de bonheur et de la religion, à l’instar des civilisations à bout de souffle.
Alors que les rayons des librairies sont pas mal envahis par des niaiseries sentimentales (dont les mangas japonais se font souvent une spécialité), ou des histoires de couple répétitives, cet auteur portugais publié par les éditions «6 pieds sous terre» ( !) a choisi d’aborder la foi amoureuse sous un angle moins commun.
Même s’il ne suggère pas précisément à l'instar de Shakespeare que l’infini, en amour, prouve qu’il n’y a pas d’amour mais une réflexion narcissique exacerbée, Paulo Monteiro permet au lecteur de s’interroger sur la sincérité de son éthique personnelle, en partant de l’amour familial principal, qui détermine largement les amours secondaires.
A travers l’idée du "père de la nation", ce mysticisme religieux perdure d'ailleurs encore au niveau politique, et l’espérance des citoyens dans les pouvoirs quasiment surnaturels de l’élu. Mais le pape aussi prend la place du père, contrevenant même ainsi à l'interdiction formelle faite par les écritures saintes d'appeler quiconque n'est dieu son "père", interdiction qui indique que l'enjeu amoureux de la paternité n'est pas des moindres.
L'Amour infini que j'ai pour toi, par Paulo Monteiro, éds 6 pieds sous terre, juin 2013.