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Chroniques de l’ordinaire bordelais – Episode 66

Publié le 07 juillet 2013 par Antropologia

Histoire d’un fossé.

Elisée Reclus, le célèbre anarchiste gascon (il est né à Orthez), a publié l’Histoire d’un ruisseau en 1869. Par l’échelle choisie et son statut de géographe, il a cru pouvoir s’abstraire de toute source hors lui-même, se satisfaire d’informations de deuxième main, de considérations générales et surtout, du « rêve de liberté » comme il le dit dès les premières pages. Prenant une échelle encore plus restreinte, je devrais moi aussi, pouvoir me dispenser d’apporter la moindre preuve hors mes propres observations et commentaires.

J’ai découvert ce fossé en 2001 – le dernier hiver pluvieux avant ce printemps 2013 – alors que ma maison était devenue une île et qu’un dernier chemin permettait d’accéder à la route. Par lui s’évacuait le trop plein d’eau qui inondait mon jardin et isolait ma maison. Je l’ai retrouvé depuis lundi mais il a fallu que j’enlève les feuilles qui l’avaient en partie comblé pour qu’enfin coule à nouveau l’eau qui peut-être abandonnera mes plantations. Pourrais-je les sauver ?

Et il s’est mis à couler, intensément et régulièrement, même si je ne vois guère de différence dans mon jardin. Il ne fait qu’une centaine de mètre mais je sens la frénésie de sa vie. Il perce cette chaîne de dunes qui va du « tuc de la Dona », la colline de la fille, naguère lieu d’initiation des adolescents de la commune, au marais des « Peireras » qu’il forme en faisant barrage. Un propriétaire a décidé supprimer cet obstacle de sable mais en deux portions. La première en amont, est large et profonde puis à mi-chemin, le fossé s’enfonce mais devient plus étroit pour ne laisser passer qu’un filet d’eau. Ces deux parties sont séparées avec précision par un espace où s’affaissent les talus et où passe le gibier, surtout des chevreuils. Est-ce deux équipes qui ont travaillé ? Se sont-ils arrêtés à l’alios (lapa en gascon), ce grès friable qui couvre toute la lande ? Se sont-elles disputées, les secondes sabotant le travail des premières ? Les « fossoyeurs » ainsi qu’ils étaient désignés au début du 19ème siècle se sont-ils révoltés et ont-ils refusé de creuser davantage ? En tout cas, il est curieux de faire un fossé profond en amont pour ne pas permettre à l’eau de s’écouler en aval. Qui pourrait expliquer cette absurdité ? Les acteurs, propriétaire, ouvriers et témoins sont morts, et rien n’a été écrit là-dessus. Je peux donc imaginer ce que je veux, des mythes, des structures, des récits, des invariants… mais ça me gêne. Les « affirmations sans preuves » m’angoissent ce qui veut dire que j’ai déjà trop écrit. Ce fossé sur lequel personne ne sait rien a pourtant une riche histoire à tout jamais mystérieuse.

Bernard Traimond



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