L'ÎLE AU TRESOR - Un jour Dimitri m'a parlé de L'île au trésor comme d'un des plus beaux livres du monde, cristallisant tous les rêves de l'enfance de tous les âges. Et telle est la littérature pour ces naufragés que nous sommes: c'est l'île au trésor, au milieu de laquelle j'imagine un cabanon plein de livres, avec la malle fameuse dans laquelle nous attendent tous les manuscrits non publiés du vivant de leur auteur - telle est notre maison...
NOTRE TRIBU. - Cette nouvelle année je serai de la tribu de mes femmes, de nos filles et de leurs jules, de ma bonne amie plus que jamais, de son frère et de nos anges gardiens. Cette année nous serons les gardiens de notre paix. Cette année nous nous battrons contre toute ingérence étrangère ou familière faisant obstacle à la douceur. Cette année nous trouvera sur tous les fronts de la guerre à la guerre. Cette année nous inspirera le mot d'ordre de destruction massive de toute forme de destruction. Cette année nous verra plus que jamais faire pièce aux éteignoirs Cette année sera celle de l'éternelle renaissance de la Lumière. Cette année sera celle de l'enfance à venir...
(À La Désirade, ce 1er janvier 2013)
Celui qui pilote le dirigeable des enfants / Celle qui a connu ce qu'on peut dire toute la tendresse du monde en serrant l'enfant contre elle pour la première fois / Ceux qui à la naissance de l'enfant ont acquis une nouvelle douceur, etc.
(À La Désirade, ce 20 janvier)
Or cette adresse est aussi le titre d'un livre écrit par ce prodige de la parlote, du nom de Max Lobe, aussi doué à l'écrit que pour la zumba ! Quel rapport y a-t-il entre un Camerounais de 26 ans bien éduqué, cinquième de sept enfants, débarqué à Lugano son bac en poche et diplômé en communication et management, et le jeune Dipita, fils de prostituée aux Pâquis et condamné à cinq ans de prison pour le meurtre passionnel de son jeune ami William ? Le rapport s'intitule 39, rue de Berne, un vrai roman qui saisit immédiatement par sa densité humaine, la présence vibrante de ses personnages et l'aperçu de ce qui se passe en Afrique ou à côté de chez nous.
De sa cellule de Champ-Dollon, Dipita raconte sa vie de garçon pas comme les autres, marqué en son enfance par les discours de son oncle Démoney. Rebelle très monté contre "papa Biya", le Président qu'il appelle "la Barbie de l'Elysée", l'oncle vitupère les magouilles du régime et le délabrement de la société, tout en recommandant à son neveu de ne pas se comporter à l'instar des hommes blancs qui pleurent comme des femmes et font de "mauvaises choses" entre eux. Or le même oncle, qui est à la fois le frère et le "papa" de Mbila, la mère de Dipita, n'a pas hésité à vendre celle-ci à des "Philanthropes-Bienfaiteurs" affiliés à un réseau international de prostitution, jusqu'à Genève où la jeune fille de 16 ans, abusivement vieillie sur son (faux) passeport, doit racheter sa liberté en payant de son corps. Dans la foulée, elle se fait engrosser par le chanteur-maquereau d'un groupe fameux, qui la pousse ensuite à conclure un mariage blanc avec un Monsieur Rappard spécialisé dans ce trafic lucratif. Pour faire bon poids, Mbila fourguera aussi de la cocaïne avec la complicité (de mauvaise grâce) du jeune Dipita. Enfin, cerise sur le gâteau, celui-ci, bravant les mises en gardes de son tonton, tombera raide amoureux d'un beau blond qui n'est autre que le fils du (faux) mari de sa mère.
Glauque et compliqué tout ça ? Nullement: car Mbila, malgré ses humiliations atroces et sa colère contre son frère-papa, est aussi gaie que son fils est gay. Celui-ci garde par ailleurs respect et tendresse pour son oncle et sa tante Bilolo (la famille africaine, bien compliquée à nos yeux, reste sacrée), même si c'est chez les Filles des Pâquis, héritières d'une certaine Grisélidis, qu'il trouve refuge affectif et formation continue en toutes matières, y compris sexuelle.
Notre grand Ramuz a fondé une langue-geste, qui travaille au corps toutes les formes de langage. Loin d'aligner les expressions locales, le romancier a forgé un style qui suggère les pensées et les émotions autant par les gestes de ses personnages que par leurs paroles. C'est exactement la démarche qu'on retrouve chez Max Lobe, qui ne sait rien de Ramuz mais a lu Ahmadou Kourouma et Henri Lopes et réussit à capter, dans son récit de conteur, des expressions souvent drôles mais plus encore significatives du doux mélange des cultures. Dans la bouche de l'oncle Démoney, le "cumul des mandats" devient "cumul des mangeoires". Dans celle de Dipita, le derrière rebondi de Mbila devient "cube magie". Et les mots de bassa ou de lingala y ajoutent leur son-couleur: le ndolo pour l'amour, le mbongo pour l'argent, notamment. Max Lobe a écrit 39,rue de Berne avec son sang et ses larmes, et sa joie de vivre, sa générosité, son élégance intérieure, sa tristesse ravalée, son incroyable sens du comique fusionnent dans un livre plein d'amour pour les gens et la vie. Le portrait (en creux) de Dipita est des plus attachants, et celui de Mbila bouleversant. La présidente de l'AFP, une digne dame Madeleine, a décerné au livre un prix spécial en matière d'observation. Et les commères de Douala se feront un plaisir de dérider les vertueuses Dames de Morges si celles-ci froncent le sourcil. Chiche que Calvin se mette à la zumba!
Or nous avions beau le connaître: ma bonne amie l'avait rencontré une première fois mais cela faisait plus d'une quinzaine d'années de ça, lui et moi étions en contact épistolaire ou téléphonique très régulier sans nous êtres revus depuis pas mal de temps, mais voici que sa formidable énergie de presque octogénaire irradiait bonnement, autant pour revenir sur les scandaleuses menées en Sierra Leone du multimilliardaire vaudois Jean-Claude Gandur et de sa firme transcontinentale Addax Bioenergy dont le siège est à Lausanne - qu'il attaque frontalement dans les pages de Destruction massive consacrées à la recolonisation par la culture intensive de la canne à sucre nécessaire à la fabrication du bioéthaneol, au dam des populations locales -, qu'au sort moins problématique de nos propres enfants. De fait, l'attention égale de Jean Ziegler à tous les aspects de la vie des gens, lointains ou très proches, m'a toujours frappé alors que d'aucuns ne le voient qu'en pur militant idéologue ou entièrement pris par ses multiples activités de justicier tous azimuts...
( À La Désirade, ce 26 janvier)
Celui qui ne sait pas qu’il ne passera pas l’hiver nucléaire / Celle qui se désabonne de ses revues de déco en apprenant que la Fin du monde est proche / Ceux qui perdent la tête au point de se faire sauter la cervelle, etc.
(Extrait d'un livre en chantier)