La question de l’honneur de l’Occident est liée à celle du colonialisme ou de l’impérialisme, et Gustave Jossot ne l’ignorait pas en rédigeant cette collection d'anathèmes vibrants.
Quelle que soit l’étiquette: chrétienne au XVIIe et au XVIIIe siècles, républicaine aux XIXe et XXe siècles, démocratique et anti-islamiste aujourd’hui, le colonialisme se renforce toujours de la démonstration d'une éthique supérieure.
On a donc affaire ici à un pamphlet anarchiste, et non à un de ces ouvrages sous le coup de la dépression ou de la mélancolie, déplorant la décadence de l’Occident, dont la littérature française en regorge dans toutes les domaines censés servir de pilier à la civilisation.
Ce pamphlet méritait d’être réédité, puisqu’on vient d’assister en Egypte à un coup d’Etat téléguidé par des «sauvages blancs», sous couvert des meilleures intentions. J’en profite ici pour rappeler que le droit-d’ingérence-afin-d’aider-les-peuples-opprimés-à-disposer-d’eux-mêmes n’est pas une invention de Bernard Kouchner, comme on le pense parfois, mais de saint Thomas d’Aquin au moyen âge. Comme quoi la sainteté ne date pas d’aujourd’hui.
Il est vrai cependant que Jossot partage avec de nombreux poètes ou philosophes inquiets du déclin de l’art, l’admiration de l’Orient, dont il oppose l’immobilisme majestueux et confiant dans lui-même à l’agitation permanente et vaine de l’Occident. Moitié par conviction, moitié pour faire la nique à ses confrères imbus des valeurs républicaines, Jossot ira même jusqu’à se convertir à l’islam. Humoriste d’abord, il ajoute toujours à ses pamphlets une bonne dose d’ironie mordante, comme témoigne le titre de ce chapitre : "Les parents sont des scorpions" - proverbe arabe.
De façon surprenante, c’est Frédéric Nietzsche que Jossot cite en référence, à qui un petit chapitre du bouquin est consacré. Jossot partage avec le poète réactionnaire le dégoût de la moraline républicaine, du clergé laïc ou confessionnel, de la démocratie et du libéralisme, du socialisme, voire la misogynie ; en revanche Jossot ne justifie nulle part l’oppression des faibles par les forts, ni le culte de la puissance, qui est le fondement de la morale instinctive «par-delà bien et mal» selon Nietzsche*.
L’attrait de Jossot pour Nietzsche vient sans doute principalement de la détestation du peuple allemand, qui fut un des leitmotivs de F.N. au point de s’inventer des origines polonaises, ou de se croire plus Français ou Italien qu’Allemand. Il faut replacer la détestation de Jossot dans son contexte industriel. L’Allemagne rime pour lui avec le progrès technique, qu’il prend pour cible et dans lequel il voit la cause des pires maux: dégradation de l’art, culte du profit intensif, abrutissement des masses populaires, exaltation de la concurrence comme cause du progrès, etc. De sorte que l’uniformisation de l’Occident, qu’il vitupère, est un phénomène allemand à ses yeux. Et on ne peut pas dire que l’avenir lui ait donné tort, ne serait-ce que sur le plan de la mainmise industrielle.
Sauvages blancs - Gustave Jossot - Eds Finitude
*«Pour peu que l’on mesure la compassion à la valeur des réactions qu’elle suscite habituellement, le danger qu’elle fait courir à la vie apparaît sous un jour encore plus cru. La compassion contrarie en tout la grande loi de l’évolution, qui est la loi de la sélection. Elle préserve ce qui est mûr pour périr, elle s’arme pour la défense des déshérités et des comdamnés de la vie, et, par la multitude des ratés de tout genre qu’elle maintient en vie, elle donne à la vie même un aspect sinistre et équivoque. On a osé appelé la compassion une vertu (dans toute la morale aristocratique, elle passe pour une faiblesse).»
F. Nietzsche, in : L’Antéchrist