En ce dernier jour de la fête de la philosophie, je voudrais souligner une nouvelle fois l’extrême utilité de celle-ci pour rendre possible le dialogue entre êtres humains rationnels. Le dialogue n’est possible qu’à compter du moment où nous partageons une rationalité qui rend possible un discours cohérent et intelligible au regard des règles de la logique "élémentaire".
Lorsque nous perdons les enchaînements logiques entre les propositions nous perdons toute capacité à établir une discussion rationnelle. Cela signifie l’abandon de l’élaboration d’une réflexion intelligible, communicable et critiquable, cela signifie l’abandon de la construction d’une pensée commune basée sur la rationalité au profit d’une collection de points de vus émotionnels où les diverses sensibilités individuelles sont juxtaposées. L’adhésion d’autrui est alors rendue possible par l’usage "du bon mot" ou de l’image choc, comme savent le faire certains media, ou alors par la surenchère émotionnelle où l’émotivité balaye tout espoir de jugement raisonnable (et rationnel).
Pour illustrer à quel point la patrie de Descartes a tant besoin d’un retour à la philosophie et à l’apprentissage de ces méthodes pour construire un discours argumenté, je voudrais citer un échange sur Twitter que j’ai eu avec un autre "twittos" que je vais nommer @Interlocuteur pour garantir l’anonymat de la conversation.
Cet échange a eu lieu samedi 15 juin et je me suis exprimé suite à la polémique suscitée par les propos du Pape François aux parlementaires français qu’il a reçus en visite officielle.
Numéro 712 @No_712
Scandale : Le #PapeFrançois invite les parlementaires à chercher ce "qui élève et anoblit la personne humaine". C’est grave ?
Un "twittos" réagit à mon propos en opérant une première dérivation du sens en passant du fait que le Pape invite les parlementaires [français], donc ceux qui font les lois, à chercher ce "qui élève et anoblit la personne humaine", c’est-à-dire en ayant en vue le bien commun à une prise de position "morale" sur deux sujets précis.
Interlocuteur @Interlocuteur
@No_712 Non, il a raison. Il est donc contre les discriminations et pour le port de la capote afin de sauver des vies? Right? #papefrançois
Là où le Pape s’exprime sur une "méthode", une invitation à chercher une finalité que l’on peut traduire comme une invitation à user de sa conscience individuelle pour faire son travail de législateur, mon interlocuteur vient donner un contenu à la finalité de ce qui "anoblit la personne humaine". Il y a une extrapolation en passant de méthode à jugement moral (donc en quelque sorte à un "contenu") en concluant que les discriminations c’est mal et que "le port de la capote afin de sauver des vies" (sic), c’est bien.
Là où ma citation peut se traduire par cette invitation aux parlementaires à user de leur conscience pour chercher le bien commun (je reformule et je vous prie de bien vouloir excuser cette simplification de ses propos) mon interlocuteur conclut que les discriminations c’est mal et que "le port de la capote afin de sauver des vies" c’est bien.
Le sens connoté des propos de mon interlocuteur ne m’a pas échappé, il sous-entend que parce que le Pape indique qu’il faut rechercher le bien commun, il doit inviter à lutter contre les discriminations et inviter au port du préservatif.
La conclusion n’a donc aucun sens au regard de la proposition initiale sans un travail d’éclaircissement sur ce qu’est le bien commun, ce "qui élève et anoblit la personne humaine" qui est justement ce à quoi le Pape François invite les parlementaires. A user de leur conscience pour définir cela sans se laisser influencer par les modes du moment.
Il y a donc une double confusion : de contexte d’une part, puisque le Pape s’exprime sur l’activité législative française et sur le fond d’autre part puisqu’il renvoie bien à la conscience (de chacun) et non pas au contenu de la loi morale.
Je cherche donc à replacer le débat en deux Twitt :
Numéro 712 @No_712
@Interlocuteur Deux sujets distincts : 1) sur les discriminations en France nous pouvons rappeler les propos du Pape Benoit XVI sur les RomsNuméro 712 @No_712
@Interlocuteur 2) Sur la lutte contre les MST, y a-t-il un problème législatif en France avec l’usage des préservatifs ?
En effet, le Pape a clairement manifesté que les discriminations (notamment en ce qui concerne l’accueil des migrants) est intolérable. La condamnation par le Souverain Pontife de la politique menée par Monsieur Sarkozy quant à la question des Roms est un exemple d’une prise de position sur le fond et non sur la seule méthode (c’est-à-dire à travailler en recherchant le bien en son âme et conscience).
Et pour ce qui est de l’usage de préservatif, je ne vois pas bien ce que l’on attend de plus du Pape pour ce qui est de la situation en France. Les préservatifs y sont en vente libre, en général facilement accessibles… à part si on juge nécessaire de mettre des distributeurs dans les églises où de distribuer des préservatifs à la sortie de la messe, je ne conçois pas bien ce que le Pape pourrait avoir à faire là-dedans…
Je fais ici un peu "mon idiot" en m’en tenant à la lettre et aux seules implications "supposées logiques" contenues dans ce qui est écrit dans le message de mon interlocuteur. Pour l’avoir trop entendu, je sais bien que la critique est toujours la même, celle qui voudrait que le Pape (l’Eglise ?) soit contre le préservatif et préfère que les gens attrapent le SIDA et meurent dans d’atroces souffrances pour expier leurs péchés. Cela fait 20 ans que l’on entend le même discours. Cela fait 20 ans que l’Eglise cherche à dire que la réponse à la question du préservatif est à voir dans un ordre global qui est que le "bien suprême" est la fidélité et la chasteté (relation exclusive dans le cadre d’une union indissoluble contractée librement) et que si l’on n’arrive pas à s’en tenir à cet idéal, alors il ne faut pas "ajouter le crime à la faute" pour reprendre les termes célèbres du Cardinal Lustiger (je précise que dans le cas précis la faute étant une relation ne respectant pas l’idéal de fidélité et de chasteté exprimé ci-dessus).
Ceux qui continuent à dire que l’Eglise est contre le préservatif font sans doute preuve d’une mauvaise fois assez caractérisée… mais cela n’est qu’une supposition. Peut-être que nous les catholiques, nous communiquons vraiment très mal.
Sur la base de ces remarques sur les discriminations et sur la lutte contre les Maladies Sexuellement Transmissibles, mon interlocuteur en vient à la loi sur l’ouverture du mariage aux couples de même sexe.
Interlocuteur @Interlocuteur
@No_712 Y’a un problème législatif avec le mariage homo? Attend attend ne dis rien… référendum, PMA, GPA, pédophilie, zoophilie, polygamie
La transition n’est pas évidente, je le conçois bien. Je pense que l’inventaire de sujets fait référence à des sujets qui ont cristallisés le pseudo-débat. Ces sujets sont des sujets sur lesquels il y aurait un désaccord de fond. Des opposants au projet de loi ont en effet demandé de passer par un referendum pour modifier un point aussi important du code civil. Certain ont également souhaité que la PMA (dans les faits il s’agit de la seule Insémination Avec Donneur – IAD – qui est visée par les "opposants") ne soit pas incluse dans le texte législatif. Il y a aussi eu un très net refus de la GPA de la part des opposants aux projet de loi. Certains ont aussi mis en garde l’opinion publique face à la fragilité juridique face à une éventuelle demande de mariage pour des unions de plus de deux personnes (au regard de la jurisprudence ayant eu cours dans d’autre pays).
Quant à la pédophilie ou la zoophilie, je l’ai souvent entendue mentionnée comme soi-disant introduite dans le débat par les opposants au "mariage pour tous" ; en revanche je ne l’ai trouvé dans aucune publication sérieuse émanant de ceux qui sont partisans d’un débat constructif sur le sujet (même si je n’exclus pas que certains "homophobes" tels ceux qui agressent des homosexuels dans la rue puissent tenir des propos de ce type).
Devant une proposition qui visait une nouvelle fois à noyer le poisson, j’ai une nouvelle fois cherché à recentrer le sujet (sur le second sujet, c’est-à-dire le port du préservatif et non le sujet initial, à savoir la recherche et la définition d’un bien commun).
Numéro 712 @No_712
@Interlocuteur J’avais cru comprendre que la question initiale portait sur l’utilisation du préservatif (sens que je donnais au mot "capote")
Ma tentative s’est heurtée à une visible incompréhension de la part de mon interlocuteur. Je passe sur le tutoiement qui est hélas de rigueur chez de nombreux "twittos", mais ce dernier message exprime assez nettement la difficulté à avoir une "conversation" avec des enchaînements logiques et argumentés.
Interlocuteur @Interlocuteur
@No_712 T’es pas clair dans tes propos, t’es comme le pape et son bouquin… #papefrancois
Sans doute le format du "Twitt" est en lui-même peu propice à une dissertation détaillée, mais il me semble qu’il devrait au moins être possible de veiller à un enchaînement logique de propositions. L’échange ci-dessus met en évidence une juxtapositions de propositions. Comme des conversations séparées qui ne se croiseraient pas. N’est-ce pas une tendance de fond d’aujourd’hui de s’exprimer sans écouter autrui ; les discours autour du projet de loi sur le "mariage pour tous" ont été à ce titre révélateurs ; pour de nombreux acteurs ce fut une succession de monologues ne reprenant pas les arguments des contradicteurs pour les dépasser dans un élan dialectique mais les caricaturant. Tourner en dérisions. Le débat spectacle.
A ce titre, Twitter me semble un outil de communication qui accentue ces tendances de fond de la communication : primat de l’émotivité sur le jugement rationnel, surenchère de "phrase choc" visant à marquer les esprits, association d’idée en guise de réflexion soutenue.
Quel espoir pour dépasser cela dans une civilisation qui privilégie les formats courts (mini série TV, journaux gratuits avec des textes extrêmement réduits, émissions avec une pluralité d’intervenants où les paroles sont sans cesse interrompues…) et où le paraître prend une importance toujours plus importante ? En cherchant à garder des temps de réflexion, en respectant de véritables débats avec des contradicteurs… cela demande une exigence personnelle. Puisse des initiatives telle la "fête de la philo" permettre au peuple de France de renouer avec sa longue tradition de débat, de critique… de cartésianisme.
Mon interlocuteur a par ailleurs rebondi sur mon tweet sur les discriminations et je vous fais part des derniers échanges qui ont eu lieu sur le sujet :
Interlocuteur @Interlocuteur
@No_712 Allons droit au but on gagnera notre temps. Hé ho Dieu, t’en pense quoi des discrimantions? … #SilenceAssourdissant #papefrançoisNuméro 712 @No_712
@Interlocuteur En réponse à votre tweet j’ai cherché qq références de l’enseignement "officiel" de l’Eglise (et non pas ce que dit tel (1/13)Numéro 712 @No_712
@Interlocuteur (2/13) ou tel chrétien). Il y a quatre articles du CEC qui cite le mot "discrimination". n°1935 "L’égalité entre les hommesNuméro 712 @No_712
@Interlocuteur (3/13) porte essentiellement sur leur dignité personnelle et les droits qui en découlent : Toute forme de discriminationNuméro 712 @No_712
@Interlocuteur (4/13) touchant les droits fondamentaux de la personne, qu’elle soit fondée sur le sexe, la race, la couleur de la peau, laNuméro 712 @No_712
@Interlocuteur (5/13) condition sociale, la langue ou la religion, doit être dépassée, comme contraire au dessein de Dieu (GS 29, § 2)."Numéro 712 @No_712
@Interlocuteur (6/13) n°2358 "Un nombre non négligeable d’hommes et de femmes présente des tendances homosexuelles foncières. CetteNuméro 712 @No_712
@Interlocuteur (7/13) propension, objectivement désordonnée, constitue pour la plupart d’entre eux une épreuve. Ils doivent être accueillisNuméro 712 @No_712
@Interlocuteur (8/13) avec respect, compassion et délicatesse. On évitera à leur égard toute marque de discrimination injuste. Ces personnesNuméro 712 @No_712
@Interlocuteur (9/13) sont appelées à réaliser la volonté de Dieu dans leur vie, et si elles sont chrétiennes, à unir au sacrifice de laNuméro 712 @No_712
@Interlocuteur (10/13) croix du Seigneur les difficultés qu’elles peuvent rencontrer du fait de leur condition." Enfin n°2433 "L’accès auNuméro 712 @No_712
@Interlocuteur (11/13) travail et à la profession doit être ouvert à tous sans discrimination injuste, hommes et femmes, bien portants etNuméro 712 @No_712
@Interlocuteur (12/13) handicapés, autochtones et immigrés (cf. LE 19 ; 22-23). En fonction des circonstances, la société doit pour sa partNuméro 712 @No_712
@Interlocuteur (13/13) aider les citoyens à se procurer un travail et un emploi."
NB : afin d’assurer à mon interlocuteur son anonymat, j’ai effacé tous mes tweet afférents à cette conversation.