Notre BHL national a concocté pour cet été un de ces événements philosophico-mondains dont il a le secret, dans le
Au menu : magret de canard façon Hegel, arrosé de sauce nietzschéenne pour en relever le goût, avec sa farandole de petits légumes judéo-chrétiens tout autour. Qui niera que la gastronomie est, en matière d’œcuménisme, la seule recette vraiment efficace pour ne froisser personne (à condition toutefois de ne pas inviter Gérard Depardieu, qui semble prendre un malin plaisir à mettre les pieds dans le plat) ?
Notre top-chef a choisi pour l’assister dans son arrière-cuisine un maître-queue secondaire, Olivier Kaeppelin, deux étoiles au guide Michelin seulement, mais non moins habile à jongler avec les vieilles casseroles de la rhétorique.
Le menu affiche un titre à se pâmer : Les Aventures de la Vérité. Il nous rappelle que le canard a beau faire « coin-coin », c’est un animal capable de s’élever haut dans le ciel.
« Culturisme » et votre serviteur se proposent de vous dévoiler dans ce n° « spécial été », ce qui se cache derrière la cuisine des grands chefs, à la fois la technique et les petits secrets de fabrication. C’est le privilège de la démocratie d’ouvrir les grandes maisons aux regards de tous.
Avec tout le professionnalisme dont l’homme moderne s’honore à juste titre, BHL a composé préalablement à ces agapes culturelles un catalogue complet. Pas plus que vous n’iriez au restaurant la besace remplie de livres de cuisine, la lecture de ce catalogue raisonnée n’est requise pour goûter la mise en scène. Son commissaire… ah, mais laissons-là ce terme un peu trop « connoté », pour celui « d’initiateur » ; l’initiateur, disais-je, a prévu une ventilation légère des œuvres sous la forme d’un chemin de croix (virtuel). Ben oui, quand même, on n’entre pas à la Fondation Maeght juste pour s’amuser.
Passons rapidement sur le préambule de la rencontre entre maître Bernard et son adjoint Kaeppelin (les grandes toques finissent toujours par se rencontrer, etc.)
Passons aussi sur la modestie de BHL, comparée à celle des grands collectionneurs qu’il fréquente. BHL sait bien qu’il n’est pas de grand art sans modestie, ni de grands événements culturels itou.
La présentation en stations/peep-shows des œuvres – la « station » pour rappeler que la culture occidentale tire son origine dans la crucifixion du Christ, et le « peep-show » pour nous indiquer que la modernité est une station-services en tous genres -, une telle présentation n’est pas sans risque. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que BHL éprouve le frisson de sa propre audace. En effet, ce parcours initiatique n’est pas sans rappeler la prédiction de Nietzsche, cassandre de la modernité, selon laquelle, de contre-culture en contre-culture, l’art aboutit au concept creux : « Adieu, phalli vigoureux des satyres, et ménades qui dansiez autour ! » (je cite F.N. de mémoire).
Deux morceaux m’ont paru tout de même moins bien cuits que les autres, et peu propices à une digestion sans heurt. C’est une drôle d’aventure, en somme, note BHL, que celle de l’art occidental, qui s’appuie sur la Bible, alors même que celle-ci n’envisage l’art que sous l’angle de l’idolâtrie ou du veau d’or ( !?) Inconsciemment, BHL pointe ainsi du fouet tout ce que la philosophie existentielle et l’éthique judéo-chrétienne dont il est l’héritier s’efforcent de dissimuler depuis le moyen-âge. Car Hegel, dont l’étoile brille au firmament de la grande cuisine philosophique moderne, n’a de cesse de touiller l’art et la vérité, mélange bibliquement impossible, pour en faire une mayonnaise conceptuelle à peu près digeste. Le principe de la mayonnaise philosophique, c’est de ne pas s’arrêter de touiller, sans quoi elle n’a aucune chance de prendre ; résultat : les ingrédients se séparent, et la culture perd ainsi le sens que l’anthropologue judéo-chrétien tente de lui donner.
Un autre morceau passe difficilement, c’est le rôle assigné dorénavant à l’artiste nietzschéen de pimenter le met fadasse de l’éthique moderne, en vertu de son amour de l’art un peu brutal mais sincère. Basquiat, en couverture, masochiste crucifié pour l’amour de l’art, est là pour stimuler les papilles de l’amateur d’art et de vérité. L’auberge a beau être provençale, il est douteux que Nietzsche eût cautionné ce rôle d’assaisonnement d’une culture à son goût déjà beaucoup trop faisandée. L’art de Nietzsche se consomme cru ; c’est plutôt le genre à tenir la gastronomie pour un art dégénéré.
Quoi qu’il en soit, sous la sauce et entre les petits légumes, les mentions légales de traçabilité indiquent un gibier hégélien, ramené de quelque partie de chasse dans une forêt souabe ou franconienne (la philosophie transcende la théologie, et l’art numérique de l’expert-comptable transcende la nature, blablabla).
Comme quoi la cuisine moderne n’est que l’art de mettre de mettre la cuisine bourgeoise dans des petits plats.
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