Max | Ben oui

Publié le 24 juillet 2013 par Aragon

De plus en plus de mots autour de moi, cousins, amis, potes, tiens ce midi autour de l'apéro, je prends l'eau, je fais naufrage de ces phrases toutes simples, si vite dites, assénées entre pistaches et cacahuètes : c'est l'autre par qui le bordel arrive, c'est le bougnoule, c'est le muslim, c'est l'étranger, celui qu'on à tort d'accueillir par les temps qui courent, c'est ce putain de rom, c'est le Gilbert tu te rends compte ils sont rentrés chez lui, quand même, ils sont allés là-bas, là où il habite, au fond des champs...

C'est heureusement une oasis quand même, c'est Michel que j'avais pas vu depuis des lustres il s'arrête en VTT, suis en train de balayer dehors, il me parle de sa guerre d'Algérie à Zéralda, me parle aussi de son neveu qu'est mort le mois dernier à trente ans - le fils de Micheline, sa soeur - comme ça dans la rue, à Paris, mort d'un coup... Le gamin me dit Michel était quelqu'un de bien, gagnait pas un sou, depuis dix ans dans l'humanitaire, il avait même été otage au Kosovo, avait connu l'horreur des camps Mogadiscio, partout dans le monde il aidait... Un gamin si bien me disait Michel, y'en a qui sont venus de Montréal pour l'enterrer, y'a cette fille qu'a porté le cercueil avec cinq copains, il était bien ; tu sais, me disait Michel, on s'en sortira jamais en politique... Je lui ai dit alors que sa seule fortune c'est son bulletin de vote, que son neveu ne s'était jamais posé la question de savoir si le monde allait s'en sortir, qu'il avait fait avec ses potes de sa petite ONG, sans la ramener, qu'il avait fait, qu'il avait tout fait, à son niveau...

Mais les autres à l'apéro ? Ceux qui discutent autour de moi, les cousins, les amis et les potes qui disent qu'il y a des fautifs, des laxistes au gouvernement, qu'ils sont tout mais pas racistes ça non, lucides qu'ils sont, et que ces étrangers qui déplument le croupion du coq français devraient payer, du moins être virés... que les banlieues, que les trafics, que les dealers, les exploiteurs de la Sécu, que les gitans, que les habitants de Pomarez qui nous regardent bizarrement à nous, gens d'Amou... que...

Ben oui, je voudrais avoir vingt ans et quelque comme sur la photo, avoir des cheveux, repartir à San Francisco, avoir un cerveau débarrassé de tout ce que j'entends aujourd'hui, ces conneries... toujours les autres, toujours... plus rien entendre, repartir à zéro