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L'"isme" en question

Publié le 01 août 2013 par Jlk

Variations cingriesques (8)

"Tout ce qui est en isme d'ailleurs nous est suspect", déclarait Charles-Albert dans sa causerie de 1953 intitulée Retour et volte-face, visant au premier chef "le plus récent de ces ismes et assurément le plus détestable - le plus excrémentiel - qu'est l'existentialisme".

Trente ans plus tôt, Cingria vitupérait le nordisme, incluant plus ou moins le naturisme et le futurisme, l'ésotérisme et le modernisme "voulu moderne" ou le surréalisme autant qu'un certain néo-romantisme et j'en passe.

Or tout cela est à prendre avec un grain de sel, surtout en 1953 où Cingria s'en prend aussi à la résurgence du maurassisme qu'il a loué en sa vingtaine. Dans le texte Occidentalisme déjà, datant de 1936, on le voit ainsi s'exclamer: "Il y en a trop dans la jeunesse maintenant de ces néo-réactionnaires tard arrivés - il faut appeler cela un petit barrésisme à l'usage bourgeois - pour qui "occidentalisme", dans le domaine de l'art, équivaut au pompiérisme textuel d'autrefois".

La diatribe a de quoi faire sourire aujourd'hui que, dans la même resucée idéologique, s'affirme une certaine droite littéraire nostalgique et criseuse qui se réclame (notamment) d'un Léon Bloy et autres foudres de réaction plus ou moins intégristes.

Dans les années 20 du siècle dernier, le romancier-poète agnostique Ramuz fut le premier, face aux étripées verbales (et parfois physiques, avec gifles et coups de cannes) de ses jeunes camarades lettrés - tels les frères Cingria plutôt Action française contre l'helvétiste Gonzague de Reynold -, à leur rappeler cette chose essentielle: à savoir que l'idéologie, qui prétend fonder ses jugements sur la plus grande rigueur (on dirait aujourd'hui scientifique, comble de la bouffonnerie), repose en réalité sur un fonds beaucoup plus vague et vaseux que celui des intuitions poétiques et de la connaissance d'art.

La vraie poésie est un laser, qui éclaire la communion des esprits alors que l'idéologie les grippe et les crispe avant de les séparer. Voyez, disait Ramuz à ses amis, combien la pénétration sensible des oeuvres vous rapproche et vous solidarise, alors que vos convictions plaquées vous butent et vous séparent, chacun persuadé de détenir la Vérité.

Or on voit bien, avec le recul, ce que Cingria décriait dans le "détestable" existentialisme: bien plus que la doctrine sartrienne, qu'il ne devait guère connaître, que la mode intellectuelle du moment, nouvel avatar du "nordisme" en somme. 

"Ce qu'il faut dire surtout c'est que l'ÊTRE domine l'existence, et si nous relisons le vieux précepte péripatéticien: l'existence est l'actuation, c'est à savoir la mise en acte de l'être (existentia est actuatio existentiae) nous avons les plus grandes chances d'être dans le vrai.

Cela fait-il de Charles-Albert un sectateur avéré de l'aristotélisme, autant qu'il y a chez lui son lot de thomisme ? Certes, et tant d'autres choses...

Le fâcheux avec l'"isme", qui distingue nettement aujourd'hui, par exemple, l'islamisme de toute une tradition de pensée et de culture débordant la seule idéologie, c'est qu'il procède par réduction et radicalisation, comme toute forme de fondamentalisme. Le christianisme est un "isme", mais il est englobant et ouvert, tandis que l'intégrisme se claquemure.

Or ce qui est intéressant, dans les Propos de Charles-Albert Cingria égrenés d'une décennie à l'autre, se recoupant et se complétant, mais parfois aussi se contredisant par ajout ou précision, c'est justement cet ajustement progressif se modifiant avec la modification des objets et des mentalités.

Je me rappelle avoir approché, autour de mes 25 ans, l'écrivain Lucien Rebatet, considéré comme un affreux fasciste et revendiquant d'ailleurs cette appellation - mais il avait écrit Les Deux étendards, magnifique roman absolument irréductible à telle idéologie -, et qui me dit comme çaque, s'il avait eu mon âge, il eût été maoïste. Pas mal d'intellectuels de son époque, au demeurant, ont changé d"'isme" sur leur parcours, d'un extrême à l'autre et dans les deux sens.

Quant à Charles-Albert, c'est essentiellement en poète universaliste qu'il faut l'aborder, dans l'esprit de son ami Ramuz, sans accorder trop d'importance à sa méfiance proclamée de "tout ce qui est en isme".

En poète attentif au caractère essentiellement composite de la réalité, passée ou présente, Cingria déjoue, par son écriture même toute forme de réduction simpliste à quoi tout "isme" idéologique aboutit.

On constate, dans cette première section des Propos, intitulée Esthétique, que Charles-Albert ferraille à tout moment contre les "esthétismes" de son temps. Ile fait au nom d'un certain atticisme critique ressortissant à la fois à sa fibre antique et n'excluant pas un certain baroquisme de l'expression, frotté souvent de lyrisme et parfois même de mysticisme, non sans humorisme... 

Charles-Albert Cingria. Oeuvres complètes,Volume 5 (Propos 1). L'Âge d'Homme, 1095p. 


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