Magazine Journal intime

C'Est Du Propre!

Publié le 28 avril 2008 par Mélina Loupia
La semaine dernière, après avoir décrété qu'il était grand temps de faire le fameux nettoyage de ce printemps pourri, je me suis ruée dans les placards qui vomissaient les piles pisanes de fringues. Trop petit, trop vieux, trop qui dépasse, trop derrière, tout est passé je ne sais où. J'ai ajouté comme critère le fait que tous les habits sur ceintres dont les épaules étaient pleines de poussière avaient croupi là au moins six ans, soit autant d'hivers, de printemps, d'été et d'automne sans avoir été sollicités par nos soins. Avant-hier, alors que je remettais l'affaire au lendemain depuis deux ans, voilà Arnaud qui me tend la perche. "Maman, je m'ennuie. -Prends un sac poubelle. -Tu veux te débarrasser de moi? -M'enfin voyons, tu peux encore me servir mon chou, vas dans ta chambre et vide tes coffres, je termine un travail et je te rejoins. -Ok." Au bout de vingt ridicules minutes, mon enfant inssatiable s'en remets à mes idées de génies pour tuer le temps. "J'ai fini maman, tu viens m'aider? -Tu as déjà tout vidé et trié? -Oui... Non, je t'attends, je voudrais pas jeter des trucs que tu vas m'engueuler après. -J'arrive." Et je laisse là l'agenda, la préparation du Conseil et autres mails en retard pour sauver mon benjamin du néant de ses neuf ans. Pour me retrouver à l'entrée de ce que j'ai immédiatement appelé comme état de catastrophe naturelle. Un tas, non, un amas, un monticule monstrueux de tout ce qui, fût un temps pas si lointain, royaume ludique, pédagogique et culturellement adapté à l'univers des six-dix ans. En kit, en puzzle, à remonter. Autant chercher une anguille dans une meute de chiens. Mais j'avais soumis l'idée au copropiétaire des lieux, la prochaine fois, je lui suggèrerai de prendre un baton et de se taper sur les doigts, à l'ancienne. Nous avons donc entamé le fameux tri. La règle simple a été appliquée. Tout ce qui est dépecé, cassé, éventré, sec ou qui ne trouve pas sa correspondance en bon état va dans le grand sac noir, destiné aux gravas et gros travaux jardiniers. Je me suis mise dans un coin, il m'a fait opposition. Et j'ai jeté. Et il m'a regardée. Et j'ai hésité. Et il m'a approuvée. Et j'ai fermé le premier sac. Et il a commencé à jouer. Et j'ai quitté la pièce. Et il ne m'a pas vue l'enjamber. Et la soirée s'est achevée. Et il a grimpé dans son lit sans se vautrer dans le tas intact qu'il avait lui-même réaménagé. J'ai alors réalisé le lendemain que peut-être il était vain de vouloir à tout prix trier, ranger, classer les jouets de mon enfant. Car ce sont les siens. Avec eux, il se construit un univers qui lui est propre, et les souvenirs qui vont avec. Je n'avais donc pas le droit de casser ce rouage qu'il avait mis plus de deux ans à huiler. Je décide d'annuler la location d'une mini-pelle chez le terrassier, lui préférant ma main et les choix d'Arnaud. Hier, en tout début de matinée, bien décidée tout de même à faire place nette dans la pièce, ne serait-ce que pour des questions évidentes d'hygiène, j'achève mon café en cherchant vainement ma station préférée sur son petit poste dont l'antenne avait été remplacée par une fourchette, montée sur une aiguille à tricoter, celle que j'ai jadis longtemps cherchée. Et je m'étais jurée de ne jeter que l' irréversiblement explosé. Ce n'est que lorsqu'en plongeant ma main dans un des quatre coffres pour chercher toute trace de feutre mal rebouché que je réalise en repêchant une pile éventrée qu'il fallait définitivement que j'aille au fond des choses. Alors j'ai prié mon enfant de bien vouloir aller emmerder ses frères dans leurs chambrées, le temps que " Je m'occupe de tout, ne t'en fais pas, je vais le retrouver moi, ton bras amovible de Spiderman." J'ai refermé sa porte derrière son sourire plein de malice et j'ai brassé du plastique pendant quatre heures. J'ai mis mes rotules à l'épreuve, mon dos à dure école et mon manque de nicotine dans ses retranchements les plus profonds. Quand à quatorze heures, je me suis relevée, et que, triomphante, j'ai enroulé le tapis sur lui-même pour déverser les derniers déchets irrécupérables pour les vider dans le sixième sac poubelle, à nouveau, mon petite monde s'est remis à tourner, à vivre. Jérémy est alors apparu hirsute et la bave aux lèvres. "Enfin t'as fini maman, il était temps, je crois que dix minutes de plus et je lui collais un pain mérité.' Nicolas était au bord de l'abandon du foyer familial. "Maman, mais c'est pas possible, il me rend dingue et en plus il ment, il me dit que c'est toi qui lui a donné l'autorisation de nous emmerder. -Je vous signale tout de même que depuis plus de quatre heures, je m'acharne à faire le ménage dans cette maison que vous habitez et ce, afin que vous y soyez sereins. Si vous avez faim, il reste du pain de mie, du jambon et du fromage, il fait beau, vous pourriez au moins aller prendre la température dehors. La nuit ne tombe pas avant vingt et une heures, vous avez de la marge. Quant à moi, ne vous faites pas de souci, je vais au moins ranger et laver jusque là. Je n'ai pas faim, non, je vous remercie de vous en soucier. -Ok, allez venez, on va s'habiller et faire un foot." La victoire sur la chambre d'Arnaud m'avait rendue invincible et je décrète à ce moment précis, en savourant ce café gagnant, que le reste de la maison n'allait représenter que plaisir, niveau débutant et bonheur à ravoir. C'était sans compter sur ce soleil qui ne sort que lorsqu'on lui a rien demandé, et qui a pointé de ses rayons ardents sur toute la poussière et les traces moyennement identifiables un peu partout sur le mobilier et le sol. J'avais beau tenter de le faire battre en retraite derrière mes rideaux, mais il m'a fait alors remarquer que ces derniers avaient subi plus d'un an d'entrées et sorties pleines de mains passablement pleines de terre, de chocolat ou de ketchup, le tout bien emprisonné dans la nicotine que nous avions pris l'habitude de faire entrer dans la maison jusqu'au premier janvier passé. Et en plus, la chaleur estivale de cet aprè-midi qui décidément s'annonce plus merdique que je l'avais pensé au matin m'a poussée à ouvrir toutes les fenêtres, dont je n'avais pas remarqué l'état d'opacité avancée des vitres. Le tout arrosé d'une épaisse couche de calcaire dans la cuvette de ces chiottes dont j'aimerais bien étrangler de mes propres mains l'inventeur, suivie de près par les éclaboussures récurrentes de dentifrice jusqu'à hauteur de deux hommes sur le miroir de la salle de bains et, fermant la marche, l'inévitable preuve grasse que depuis ma reprise d'activités extérieures, Copilote cuisine à nouveau comme quatre chefs, et je remets à l'an prochain mes projets de ménage en surface, de minimum syndical et autres camouflage de merde sous les tapis, tapis dont je ne suis pas propriétaire de toute manière. Je n'ai pas revu mes enfants. C'est Copilote qui m'a avertie qu'ils faisaient un foot en plein soleil dans le champ, en dessous de chez nous. C'est d'ailleurs aussi lui qui a chantonné son fameux " Ouh, mais ça sent bon ici!", me signifiant soit qu'il fonctionnait par automatismes conjugaux, soit qu'effectivement, il avait relevé ce délicat fumet, un cocktail à base de Javel, de vinaigre blanc et d'huile essentielle de lavande. "Toi, t'as fait le ménage. -Je suis ravie que tu le constates. -Oué, tu sens le fennec, t'as sué comme un âne." Je n'ai savouré ma victoire que le temps d'une demie-journée. Laps de temps suffisant pour qu'à nouveau, les coffres à jouets soient renversés, afin de retrouver ce fameux bout de Spiderman dont j'étais persuadée de l'avoir laissé en évidence sur le bureau, à la limite d'y coller un gyrophare sur la tête pour prouver de ma bonne foi,  avoir tenté de se brosser les dents plus haut que ses frères,  faire constater que la prochaine fois, promis, on lèvera la lunette et que " Ouiiii je sais, je mets le couvercle sur la poële et je mets pas d'huile pour faire cuire les steaks puisque le Téflon est encore neuf...", encore une fois se confondre en excuses d'avoir oublié qu'une porte a une poignée et que les rideaux ne font pas office de serviette de table et que "Miaw" vaut mieux que se faire les ongles sur le verre sécurisé pour rentrer chier dans le cellier. Mais tous, autant qu'ils sont, ils me regardent, me promettent, m'assurent que la prochaine fois, ils feront attention, ils veilleront à respecter la tache à laquelle je m'étais tuée toute la journée, quitte à ne plus rien toucher, user, actionner. Quitte à ne plus vivre. Des gens témoins dans une maison témoin. Et à chacune de mes crises aiguës de propreté, ils suggèrent et murmurent à mes oreilles que je vais finir maniaque de l'ordre et de la propreté. Et alors que je toise la pile de linge à repasser, laquelle une fois de plus aura le dessus sur moi et la longueur de ma nuit, je regarde ma maison à nouveau dévastée. Dévastée certes, mais de vie. Et elle est vraiment belle.

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