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Laurence Tardieu, Puisque ne rien ne dure : l’expérience de la disparition.

Publié le 09 août 2013 par Mademoizela

 Laurence Tardieu, Puisque ne rien ne dure : l’expérience de la disparition. Introduction

Lu d'un trait, en une trentaine de minutes.
J’ai d’abord été attirée par le titre Puisque rien ne dure. Un livre sur l’aspect éphémère de l’existence, des êtres, des choses ? Le titre expose l’homme dans son rapport avec le temps. J’ai lu la quatrième de couverture et j’ai senti la déchirure en moi : « Je meurs voilà ce qu’elle m’écrit Vincent je meurs viens me voir viens me revoir une dernière fois que je te oie que je te touche que je t’entende viens me revoir Vincent je meurs…. »

Résumé


Le roman se compose en trois temps : une première partie « Vincent (2005) », « Geneviève (1990) », « Ensemble (2005) ».Laurence Tardieu, Puisque ne rien ne dure : l’expérience de la disparition.La première partieévoque un homme qui a refait, tant bien que mal sa vie. Pour pouvoir tenir debout il a renié son passé. Jusqu’au jour où il reçoit une lettre de son ex-femme, l’amour de toute une vie, qui veut le revoir avant de mourir. Genevièveresurgit dans la vie de Vincent et tout vacille pour lui car tout lui revient : ses souvenirs, sa vie d’avant, celle qu’il a passionnément aimée, son icône amoureuse. Il va retrouver celle dont il n’a jamais réussi à reprononcer le prénom pour éviter que la douleur le ravage de nouveau. ([…] tu ne sais pas qui est Geneviève pour moi, ce que nous avons été l’un pour l’autre, tu ne le sais pas parce que je n’ai jamais su t’en parler, même à toi, je n’ai pu ne serait-ce prononcer son nom devant toi, parce que si j’avais prononcé son nom le fragile édifice que je tente de bâtie avec toi depuis que nous nous connaissons se serait écroulé […] »)Deux disparitions se font face : la disparition du passé et la résurgence d’une femme vouée à disparaitre. (« Peut-être parviendrais-je […] à nous faire oublier que dans quelques jours tu ne seras plus là »)
La deuxième partieest une analepse : c’est le point de vue de Geneviève une quinzaine d’années auparavant qui est mis en valeur. De nouveau, le thème de la disparition se retrouve ici : celle de la fille de Geneviève et Vincent, Clara. Vont être traités les thèmes de la disparitionqui n’est qu’une mort incertaine, les espoirs, les illusions et les désillusions qui en découlent, et la douleur. Les deux personnages, face à cette douleur incommensurable, vont avoir deux réactions diamétralement opposées. Geneviève trouve dans l’écriture un refuge et aussi un moyen de participer à la survie de sa fille. (« Si je n’avais pas ce cahier, je crois que je me serais lentement laissée aller au désespoir, comme Vincent. »)Elle se nourrit de ses souvenirs, réussit à surpasser l’absence grâce à son imagination, sa mémoire, qui lui permettent de recomposer une image –imparfaite- de sa fille disparue. (« Je ferme les yeux. J’essaie d’entendre sa voix, son rire, son babillage. J’essaie de la faire vivre en moi. Elle est là. »)A contrario, Vincent passe sous silence tout ce qui concerne sa fille perdue, il s’emmure dans un silence mortel et le non-dit et le secret deviennent ses armes. Il ne parle pas de sa fille pour ne pas être submergé par sa douleur. Il n’accepte pas l’absence de sa fille et mise sur un espoir même mince pour ne pas affronter la douleur de la perte (« Le plus difficile c’est la non-certitude, cette probabilité, même infime, que vous puissiez la retrouver encore. Cette brèche vous laisse dans l’errance, vous empêche de commencer à faire votre deuil. […] Vincent espère encore, voilà ce qui le mine, ce qui le rend fou. Vincent attend Clara. Moi, je ne l’attends plus. ») Le couple se sépare. L’une se ressource à la campagne, l’autre se fond dans l’immensité et  le bruit citadins.Laurence Tardieu, Puisque ne rien ne dure : l’expérience de la disparition.
La troisième partierassemble les deux personnages au seuil de la mort de Geneviève. Pour la première fois dans la vie de Vincent la mort est effective. On a vraiment un panel de disparitions qui peuvent avoir cours au fil de la vie, différents deuils (le deuil d’une histoire d’amour qui a mal fini, le deuil d’un enfant disparu, le deuil d’une femme perdue). « Comme je serre Geneviève contre moi et que je dépose un baiser sur ses paupières closes, sans savoir si elle peut encore en éprouver la douceur, que le visage de Clara surgit devant mes yeux, aussi vrai, aussi réel que si mon enfant se tenait à mes côtés. […] Je pleure, seul, je pleure parce que je suis impuissant à retenir Geneviève et que, au moment où je la perds, je retrouve le visage de ma fille que je croyais effacé en moi à tout jamais. »Laurence Tardieu, Puisque ne rien ne dure : l’expérience de la disparition.

Conclusion

Geneviève a besoin d’accepter la disparition réelle de Clara pour effectuer son deuil. Elle ne veut pas s’attacher à des illusions qui la feraient sombrer dans des désillusions. La chute serait encore plus brutale et le désespoir plus violent. Vincent se raccroche à la moindre parcelle d’espoir. Seule l’illusion d’un « peut-être que… » l’aide à tenir. Cela me rappelle la phrase du film Le temps qui reste de François Ozon : « Même si les chances sont faibles, elles ne sont pas nulles. Et s’il n’y en avait qu’une il faudrait la saisir ». L’attitude de Vincent est de miser sur l’infime pourcentage de chances pour justement ne pas se laisser couler.  Ses non-dits, ses faux semblants, ses masques qu’il porte lui permettent de cacher sa douleur. Puisqu’il ne la montre pas, puisque personne ne la voit c’est comme si elle n’existait pas. Le fait de cacher des moments de sa vie, de taire la douleur sont autant de moyen de garder ce secret intact, de préserver ce qui a été et qui a disparu comme une relique. « De Geneviève je ne lui parlerai pas, parce que notre histoire n’appartient qu’à nous et que je veux garder en moi, comme un souvenir lumineux, nos derniers pas ensemble.»
C’est un roman sur la disparition, le deuil, la douleur. Même si le travail de deuil est différent selon chacun, même si les réactions sont dissemblables, un élément les réunit : la douleur. C’est, je crois, ce que ce roman enseigne. Et qu’il n’y a pas qu’un seul chemin pour y arriver.
Le fond du roman est sublime, fin et vraiment « fouillé » psychologiquement ; cependant, le style de l’auteur ne m’a pas vraiment plu. Le style semble parfois maladroit et manque de subtilité. Certaines métaphores ou images sont superficielles. Trop de répétitions qui parasitent le texte.Mais, ce roman demeure malgré tout une vraie pépite par sa justesse et son orchestration.
« On ne choisit pas sa blessure. Elle naît au monde avec nous, mais de plus loin et, il me semble, de plus haut. Nous n’avons qu’à l’assumer. » M. Arland.Emmanuel Moire, Beau Malheur

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