D.H Lawrence en quelques mots
D.H Lawrence naît le 11 septembre 1885 à Eastwood. Il écrit ses premiers poèmes en 1906. Il devient instituteur dès 1908 et abandonne l’enseignement en 1911. Entre temps, il publie son premier roman The white Peacock. Après quelques voyages en Allemagne et en Italie, il rentre en Angleterre et fait la rencontre de Katherine Mansfield et intègre le cercle élitiste de Bloomsbury composé des lettrés de l’époque (Virginia Woolf, Katherine Mansfield, Forster, scientifiques, philosophes, intellectuels)… Il voyagera beaucoup durant toute son existence et s’adonnant à l’écriture poétique et romanesque.Il meurt le 2mars 1930.Quelques œuvres : Women in love, L’Amant de lady Chatterley, la somme Poèmesqui se compose des recueils suivants : Vois ! Nous touchons au but ; Oiseaux, bêtes et fleurs ; Pensées ; Pensées encore ; Derniers poèmes
La poésie de Lawrence
Cette compilation poétique traduit bien une chronologie entre le poème liminaire du premier recueil ( « Premier matin »)et l’ultime poème du dernier recueil (« fatigue »). Lorand Gaspar et Sarah Clairont voulu garder une certaine chronologie et une logique certaine dans ce parcours initatico-poétique.L’écriture de D.H Lawrence peut sembler hermétique : les mots semblent « faire écran » (expression de Jaccottet) entre la réalité et l’univers poétique. La poésie de D.H Lawrence est une poésie inspirée : sa poésie se compose sur un fond de mythologie gréco-romaine sur lequel se superposent une lecture freudienne de l’existence et des éléments de philosophie indoue.
Sa poésie garde la trace de ses voyages avec la multiplicité des lieux décrits et évoqués. Outre la dimension initiatique des voyages, on a affaire à un poète épicurienpressé de découvrir le monde, et dont l’urgent désir d’expérimenter l’existence se fait ressentir au fil des poèmes. Les atmosphères peuvent être bucoliques à travers l’exaltation de la nature mais peuvent prendre aussi des détours plus pernicieux et érotiquesvoire orgiaques. D.H Lawrence est un avatar de Diogène qui, dans son tonneau, fait scandale par sa débauche. Ou un double de Dionysos invitant à la luxure et aux plaisirs de la chair, qu’il semble célébrer dans chacun de ses vers. Il y a une force cosmiquequi régit l’écriture de D.H Lawrence. Il renie Dieu (« Nous sommes sans Dieu et sans croyance ») mais il cherche malgré tout une existence supérieure ; et, cette supra-existence il la trouve dans les tréfonds de son âme. Voilà en définitive le résultat de sa quête mystico-poétique.
FATIGUE
Mon âme a eu une longue et dure journée Elle est épuisée, Elle cherche l’oubli. Ô dans le monde Il n’y a pas de place pour l’âme qui cherche l’oubli L’obscurité complète de la paix, Car l’homme a tué le silence de la terre Et ravi tous les lieux de paix et d’oubli Où les anges jadis descendaient.
De D.H Lawrence à Philippe Jaccottet
A première vue, ces deux-là n’ont rien en commun : l’un appartient à la première moitié du XX et l’autre à la seconde moitié. La poésie de Lawrence est érotique, chargée de désir charnel. Jaccottet ne parle pas d’amour ; la femme est quasiment absente de ses recueils. Lawrence est du côté de Dionysos alors que Jaccottet se place près d’Apollon. Par exemple : lorsque Lawrence évoque la nuit, c’est pour parler de la débauche, de la luxure, des activités nocturnes alors que pour Jaccottet, la nuit est un moyen d’accéder à la connaissance, elle est un mystère, une énigme à découvrir.Pourtant… des similitudes m’ont frappée d’emblée.
Leur poésie trouve leur origine dans la nature et dans la contemplation de celle-ci. Ils cherchent une vérité qui se trouverait dans l’environnement, dans tout ce qu’il y a de vivant et non dans l’existence d’un Dieu que l’un et l’autre renient.
Lawrence intitule un recueil : Oiseaux, bêtes et fleurs. Il donne une importance considérable aux fruits. (« Figues », « Raisins », « figuiers nus », « Amandiers nus »). On retrouve ce même univers à quelques nuances infimes près chez Jaccottet avec « Oiseaux, fleurs et fruits ». L’opposition entre « bêtes » et « fruits » marque bien la divergence poétique entre les deux : l’un se tourne vers la bestialité, l’animalité, la trivialité alors que l’autre reste dans le domaine bucolique et pur. Dans le recueil Leçonsde Jaccottet, on retrouve un poème « Raisins et figues ».
La figue et le raisin chez Lawrence sont des symboles de son épicurismecar dans son poème « figues », il associe la manducation du fruit à l’acte charnel [« Après avoir cueilli avec vos lèvres la fleur »] De même, le raisin revêt une symbolique particulière rappelant les orgies romaines ainsi que les dionysies (fêtes célébrant Dionysos, dieu du vin et de la vigne). Le raisin évoque l’allégresseet l’ivresse. En revanche, chez Jaccottet, l’évocation des fruits demeure davantage une célébration de la vie et de la nature dans tout ce qu’elle peut offrir à profusion. Le figuier symbolise aussi la résurrection, il est aussi symbole de la fertilité. Rappelons que le figuier est l’arbre de la terre promise. Ce qui est étonnant c’est que les deux poètes rejettent l’existence de Dieu pourtant ils font référence tous les deux à des éléments bibliques. Egalement, les raisins étaient une évocation de la résurrection dans les légendes anciennes. Le raisin et la vigne peuvent s’associer à la maturation et évoquent a posteriori la vendange. Poétiquement parlant, la vendange correspond au moment idéal pour cueillir les fruits. Cette notion du moment paroxystique est présente chez les deux poètes. Enfin, la symbolique des couleurs joue beaucoup dans cette double référence. En effet, la figue et le raisin ont en commun cette couleur assez indescriptible pouvant aller du violet profond au noir intense. Deux teintes qui évoquent le mystère mais aussi le deuil et la mort. On a les pulsions de vie (eros) et pulsions de mort (thanatos) qui sont largement représentées chez ces deux poètes.
Un deuxième recueil du britannique se nomme « Pensées». Chez notre poète suisse, on a un recueil intitulé « Pensées sous les nuages».
Chacun, à sa façon, pense le monde, l’habite, le découvre et l’expérimente.