À rebrousse-toiles

Publié le 10 août 2013 par Jlk

 

Back zapping, Locarno 2013.

  

Werner Herzog. Grizzly Man. USA, 2005.

De La Balade de Bruno S. à Fitzcarraldo, en passant par L'énigme de Kaspar Hauser et beaucoup d'autres, on connaît les fictions romantico-acides de Werner Herzog, jamais présentées d'ailleurs à Locarno alors que le maître allemand y est tardivement consacré par un Léopard d'honneur; mais les docus du même auteur sont moins connus, pourtant marqués par le même regard d'aventurier-poète curieux des personnages hors-normes et de réalités-limites, des glaces de l'Antarctique aux traces de la grotte Chauvet. Avec le naturaliste Timothy Treadwell, genre beatnik idéaliste détestant la civilisation et convaincu de pouvoir tout partager avec le ours, il ne pouvait trouver meilleur exemple d'un extrémisme écologique poussé à l'absurde. Mêlant des films réalisés par Tim lui-même durant une treizaine d'années passées auprès des ours d'Alaska, et des témoignages recueillis après la mort atroce de l'imprudent ami des plantigrades, dévoré par l'un d'eux avec sa blonde amie du moment, Werner Herzog propose, non sans empathie pour son personnage, une réflexion lestée de bon sens par les Alaskiens responsables du Katmai National Park and Reservequi rappellent que le vrai respect de la nature, en général, et des ours en prticulier, devrait passer par une réserve polie à l'égard de ceux-ci... Ma cote: ***

Quentin Dupieux, Wrong Cops. France/USA, 2013

Celles et ceux qui ont apprécié Rubber, présenté en 2010 sur la Piazza Grande, auront sans doute raffolé de Wrong Cops, découvert en première mondiale sur les mêmes pavés et qui ajoute le cynisme au comique caoutchouté de la saga du pneu relançant les aventures teigneuses du camion mythique du Duel de Steven Spielberg. En ce qui me concerne, après avoir à peine souri aux rebonds de la gomme folle, j'ai baillé d'ennui devant l'étalage de vulgarité accrocheuse de Wrong Cops, pénible chronique sous-sous-Tarantino d'un quarteron de flics pourris-débiles sur fond d'Amérique tarée. Sur la scène de la Piazza, les auteurs de cette imbécillité censée "plaire aux jeunes" ont invoqué le "politiquement incorrect" désormais recyclé par le nouveau conformisme. En réalité un seul terme convient en réponse au déferlement de "fuck" du film: bullshit. Ma cote: 0.

George Cukor. Dinner at eight. USA, 1933.

Après les rétrospectives d'Ernst Lubitsch, de Vincente Minelli et d'Otto Preminger, ces dernières années, le cinéma américain de légende continue d'être illustré à Locarno avec l'intégrale des films de George Cukor. Dinner at eight n'est certes pas du tout premier rang, mais le tableau social reste ferme et quelques portraits ont un relief hors du commun, comme celui de la star vieillissante Carlotta ou de la ravissante idiote arriviste et vulgaire à souhait, incarnée par Jean Harlow. Au lendemain de la Grande Dépression, les milliardaires sont aux abois, tel l'armateur Jordan dont l'épouse met sur pied un dîner proustien à l'américaine, genre Guermantes au (très) petit pied. Le dialogue pétille.la comédie n'exclut pas les touches plus tragiques (le suicide au gaz de ville du bellâtre du muet tombé en disgrâce avec l'avènement du parlant), enfin tout ça conserve une certaine tenue en dépit de ficelles un peu usées. Ma cote: ** 

Daniel et Diego Vega, El Mudo. Pérou / France / Mexique, 2013.

Label festival: voilà ce qu'on pourrait dire de ce deuxième "long" des frères Vega, déjà remarqués à Cannes pour Octubre, en 2010. Plus précisément: un festival tel que Locarno, comme Sundance aux Etats-Unis et quelques autres, semble le lieu par excellence d'accueil et de diffusion de tels ouvrages de qualité dont l'impact commercial reste aléatoire. Après les films politiquement engagés en fonction d'une orientation "claire", mieux à même de satisfaire les bonnes conscience de gauche, le temps semble venu d'ouvrage apparemment plus ambigus, mais mieux à même de capter la complexité de la réalité. C'était le cas, l'an dernier du film chilien intitulé No, de Pablo Larrain, évoquant la défaite in extremis de Pinochet. Or, avec El Mudo, Diego Vega mettent en scène un fonctionnaire de justice censé lutter contre la corruption, avant de se trouver pris à son propre piège. D'abord révoqué pour excès de zèle, puis révolvérisé par une probable victime de ses rigueurs, il perd l'usage de sa voix mais se montre acharné dans sa quête du coupable, qui va le pousser à enfreindre à son tour la légalité. Magnifiquement campé par Fernando Bacilio, le "muet" en dit long sur une société où tous (dont son propre père) accommodent la vérité au gré des convenances sociales, autant que sur une dérive ressentimentale personnelle. Il en résulte un filme honnête, solidement construit, évoquant avec force le milieu des notables dont est issu le protagoniste.Ma cote: *** 

Robin Hardy. The wicker Man. UK, 1973.

Géant cassé sur sa canne, Sir Christophe Lee affirmait l'autre jour, à Locarno, que The wicker Man était la meilleur film qu'il avait jamais tourné (et il y en a eu des quantités !) avant de raconter les tribulations d'un film irrémédiablement amputé de nombreuses séquences, mais qui reste selon lui un ouvrage d'exception. Ah bon? Sauf le respect dû à un Lord de Sa Majesté, l'on en rabattra quand même un peu sur l'objet en dépit de ses indéniables qualité, à commencer par l'interprétation flamboyante de Christoper Lee en aristocrate écossais à dégaine de druide...

Un flic anglais du genre puritain débarque sur une île écossaise pour y enquêter sur la disparition d'une jolie adolescente, que personne, contre toute évidence, ne semble connaître. Le tableau de la communauté locale adonné aux vieilles pratiques païennes est joliment brossé, sans toucher jamais, cependant, à la magie requise (si l'on se rappelle le merveilleux Brigadoon de Vincente Minelli), péchant par une esthétique "vintage" des années 60-70 d'un kitsch un peu lourdingue. Mais les paysages d'Ecosse marines, et la galerie de personnages, fait passer la chose en dépit d'un dénouement fuligineux confinant au grand-guignol. Ma cote: ***

    

Bruno Oliviero. La variabile umana. Italie, 2013.

Les films présentés sur la Piazza Grande (dont la jauge totale avoisine les 8000 places) supposent une potentiel attractif particulier , pas toujours accordé avec la qualité artistique. C'est qu'il faut la remplir, cette sacrée place, en attirant si possible un public complétant celui des festivaliers, avec les jeunes pour cible privilégiée. D'où la récurrence de certaines blockbusters, qui a fait grincer les dents de pas mal de fidèles cinéphiles "puristes" du Locarno d'antan. Mais le bon mélange se fait parfois,comme avec La vie des autres qui commença sa grande carrière internationale à Locarno. Or le premier long métrage de fiction de Bruno Oliviero, La variabile umana, pourrait être de la même trempe. Ce superbe film noir, à la fois élégant dans sa construction à fines touches fluides, et lyrique par sa photographie, raconte la dernière enquête d'un inspecteur milanais (le formidable Silvio Orlando) dont la propre fille semble impliquée dans le meurtre d'un célère entrepreneur milanais. Plongée nocturne dans le labyrinthe violent de la capitale lombarde, le film ressaisit bel et bien les "variables humaines" impliquées dans la logique policière, en jouant admirablement de tous les poncifs du genre, littéralement sublimés par l'écriture et la présence des acteurs. Ma cote: ***