Des femmes, du voile et de son interdiction

Publié le 11 août 2013 par Traeumerin

Récemment, un article du Monde relatait une possible interdiction du port du voile à l’université, presque dix ans après l’interdiction de ce dernier dans les écoles et collèges de la République et deux ans après l’interdiction du port du voile dit « intégral ».

Le voile, c’est décidément une histoire bien complexe et il faudrait se garder de ne donner qu’une seule réponse comme on a par trop coutume de le faire. S’agit-il d’un fait sociologique, d’un fait religieux, d’un fait psychologique, d’une discrimination, d’une domination d’un sexe sur l’autre… ? En tout cas, tous ces champs me paraissent devoir être interrogés.
De la même façon, qui en parle ? Qui défendent et qui attaquent ce voile si controversé ? Il n’est pas dit que ce soit les personnes extérieures à ce bout de tissu auquel on attache autant d’importance qui soient les mieux placées pour en parler ; mais de la même façon, il n’est pas dit que ce soit les personnes qui, elles-mêmes, portent ce bout de tissu qui soient aussi les mieux placées pour en parler.
Ces dernières sont souvent des femmes bien insérées dans la société française et le paradigme de la figure qui ose défendre le voile, jusqu’au voile intégral, est une jeune femme convertie à l’islam, jusque là bien insérée dans la société. Et le voile est souvent défendu comme une forme de liberté, le même but à atteindre qu’une certaine loi visant à interdire ce même voile. C’est ce même paradigme qui avance que toutes ces prescriptions sont tournées vers le bien-être de la femme musulmane ; là où, en France, beaucoup voient dans cet enfouissement sous le tissu une manière rétrograde de se soumettre au regard de l’homme. Il s’agit en tout cas toujours de se soustraire au regard de l’homme. « Le sitar cache simplement la beauté de la femme. » avance une femme (vous avez l’article en entier : l’argumentation est intéressante…) Juste. Et une femme doit cacher sa beauté pour ne pas avoir d’ennuis de la part des hommes, créatures forcément fragiles qui ne pourraient se retenir. (Ce même principe, quand même, a servi à justifier séculairement des millions de viol de par le monde et les siècles. Accessoirement, cette protection que serait le voile montre plus que son inefficacité dans certains pays, tels que l’Égypte où femmes voilées ou non voilées se font agresser au sus et au vu de tous et toutes de manière sauvage, vraie plaie dans cet état en ébullition que l’on justifie comme on peut : c’est-à-dire toujours maladroitement.)
« Le sitar cache simplement la beauté de la femme, ce qui révèle la haute considération que l’homme musulman a de la femme. » Haute considération au sens où, je suppose, cela permet ce dernier de ne pas lui manquer — même malgré lui — de respect, je suppose, quand il la regarde. Mais celle qui doit se cacher, c’est la femme… Personnellement, cela m’a toujours paru injuste. Ce n’est pas tant le voile, là, qui me gêne, mais l’argumentation qui le soutient. Pourquoi fau(drai)t-il qu’une femme se voile pour avoir le droit au respect et à la considération ? D’autant que, pour ma part, en parvenir à se couvrir intégralement le corps relève d’un extrême que je peine à cautionner.
Deux autres choses : ces femmes mettent souvent en avant le sentiment de liberté (une fois le poids des regards disparu) qu’elles éprouvent sous leur voile et la difficulté que ce serait pour elles si elles avaient un jour à le retirer, par crainte de se retrouver comme « nues », en proie au désir de l’homme. Je ne suis déjà pas sûre, justement, que de commencer à se couvrir élude totalement cette dimension de la crainte du désir de l’homme. Cela la pose en creux. Et s’il faut commencer à se cacher pour vivre, ce n’est pas sans poser question. L’autre chose est que j’ai l’impression que plus on fuit cette dimension du désir de l’autre, d’une crainte d’être vue comme un objet sexuel, dans une société, il est vrai, hypersexualisée (et à ce niveau-là, c’est moins la libération des mœurs sexuelles proprement dites qui me dérange, mais le fait que tout soit exposé en public, dans des magazines, etc., et notamment devant… des enfants que l’on pollue, pour le coup, avec ça… car si on y a gagné en paroles, on y a perdu par la trop grande visibilité de tout, absolument tout… — est-il besoin de rappeler les images de Loft Story en 2000 ?), mais qu’à tenter de border cette crainte par un hidjab, un jibab, un sitar ou que sais-je, à la tenter de la border de plus en plus, on la montre aussi de plus en plus… Je trouve personnellement passablement dommage que l’on doive en venir, sous prétexte de fuir tout désir masculin (ou féminin), toute tentation, à se « priver » (mais peut-être n’est-ce pas vécu ainsi) de rencontrer d’autres hommes, d’autres femmes, comme les choses se présentent… (Les islamistes ne sont pas les seuls à imposer à l’extrême une séparation, les juifs ultra-orthodoxes tendent aussi à le faire… et cela a aussi mené, dans le judaïsme, à des dérives graves, en Israël.)
On pourrait me répondre qu’il vaut mieux tenter se protéger du « mal » que de ne même plus chercher à le discerner dans la vie courante et de le laisser opérer, mine de rien… Je ne suis pas sûre de considérer les choses ainsi…

Mais, bref, où est la liberté de la femme là-dedans ? Est-elle dans le fait de découvrir et de couvrir son corps ? Est-elle dans le fait de se montrer ou de se cacher aux regards masculins ? (Accessoirement, on oublie de parler du fait qu’une femme aussi peut éprouver du désir pour un homme et prendre plaisir à reluquer les corps de ces messieurs…)
La liberté est-elle aussi de ne pouvoir se retrouver qu’entre femmes ?
À interdire, la France tranche sur le paradigme de la liberté des femmes à être… dévêtues. Et renforce le sentiment de ségrégation de certaines communautés. (Bon, personnellement, j’ai quand même du mal avec le port du voile intégral et les argumentations qui le sous-tendent.)

Et la France n’en a pas fini de se débattre avec une certaine définition de la laïcité sur laquelle on butte toujours…
Dans un autre registre, au fil de recherche, je suis tombée sur un fil qui traitait de la difficulté de concilier la stricte observance du shabbat pour un juif pieux et les horaires d’une classe préparatoire (à savoir le problème des cours ou des DS le samedi matin).
Bien sûr, de nombreuses voies se sont élevées pour dire que la personne qui posait la question n’avait qu’à ne pas respecter shabbat, venir en cours, porter et écrire (deux des travaux interdits pendant shabbat), que l’on trouverait scandaleux si cet élève-là obtenait une dérogation (ou qu’il y a des classes particulières en fonction de…), etc., etc.
Ce n’est pas si loin que l’on croit de la question de l’éventuelle interdiction du voile à l’université (et dans d’autres sphères) : parce qu’il ne s’agit pas que de voile, mais des demandes qui tournent autour d’une pratique religieuse : l’alimentation (bien plus compliqué pour les Juifs, du fait de la rigueur des règles de la Cacherout, que pour les musulmans), la question de la mixité, de la prière… Il y a aussi la question du respect des fêtes religieuses (le calendrier français est basé sur… le calendrier catholique… c’est certes lié à l’histoire mais ça ne porte pas moins une empreinte religieuse) : l’Aïd, Pessah, Yom Kippour…
Pour avoir vaguement lu sur ce qui se passait dans les autres pays, notamment Outre-Atlantique, au Canada, il semblerait là-bas que la vision de la laïcité soit autre. On parle d’ « accommodement raisonnable » au Canada où l’État ne statue pas en matière de religion. Dans ce pays, on peut ainsi voir des policières voilées. Impensable en France. Mais là-bas on considère qu’il s’agit d’une forme de liberté que d’imposer de retirer le voile relève d’une discrimination alors que le garder, a priori, ne génère pas de contrainte (en tout cas pas de contrainte insurmontable) sur l’institution qui accueille la femme voilée).
J’ai pour ma part l’impression que, certes (ou pas certes du tout, d’ailleurs : ce « certes »-là est bien une manifestation française quant à la question de la laïcité !), les minorités religieuses sont visibles, et on ne tente pas de les cacher. On facilite même leur insertion dans la société là où, en France, on pense qu’interdire permettra de mettre un terme aux problèmes — ce qui est loin d’être sûr et je gage même sur une nouvelle flambée médiatique…
De plus, en France, si on se permet de statuer sur des questions religieuses, je ne trouve pas tellement que l’on se prévaut du principe de laïcité…

Je ne prétends pas être exhaustive ni apporter de bonne(s) réponse(s) ni même poser les bonnes questions… Je n’ai pas tellement d’avis tranché… si ce n’est que je regrette qu’en France, alors même que je ne suis pas moi-même religieuse (mais ne pas l’être n’empêche pas de se poser des questions sur le religieux et les religions), il devienne pour certaines communautés si difficile de pouvoir vivre. Bien sûr, les gens peuvent vivre ailleurs et, non, je ne cautionne absolument pas certains régimes politiques (lesdites républiques islamiques), pas plus que je ne cautionne le fait qu’il puisse y avoir de la coercition, d’où qu’elle vienne, de la part de proches ou de moins proches, pour forcer les femmes à se couvrir, à se cacher, ou que sais-je… Bien sûr aussi que l’on peut interroger la place de la femme et des femmes au sein du religieux et des religions…
On peut se poser plein de questions… et il ne s’agit pas d’attaquer seulement les religieux, de se proclamer anti-religion comme si ça suffisait pour régler, voire éradiquer le problème, soi-disant que les religions seraient source de soumission ou autres… D’une part, il n’est pas dit que lesdits croyants voient les choses ainsi, ou pas seulement ainsi et, en outre, nous avons tous nos propres croyances, nos propres entraves, conscientes ou inconscientes (et ces dernières, que l’on ignore volontiers, sont au combien plus puissantes !), qui nous soumettent malgré nous…