Plus de trente ans après Les Petites fugues, film "culte" du cinéma suisse, le réalisateur Yves Yersin revient à Locarno avec Tableau noir, chronique lumineuse d'une classe d'écoliers jurassiens, encadrés par deux merveilleux instits..
Or Tableau noir, le nouveau film d'Yves Yersin tourné sur une durée d'un an dans une classe mêlant des enfants de six à douze ans, procède d'une même démarche. Un demi-siècle après Quand nous étions petits enfants d'Henry Brandt, également très présent au souvenir du public romand,le réalisateur vaudois a choisi lui aussi un endroit retiré des hauts jurassiens, avec l'école intercommunale de Derrière-Pertuis, en plein pâturage, au centre d'une région surnommée "la Montagne". Une ombre plane sur la fin du film, liée à la fermeture de l'école "multiclasse" et à la retraite anticipée de son formidable "régent". Mais l'essentiel de ce document "pour mémoire" respire la générosité et le bonheur de transmettre
- Au terme de la scolarité de mon fils, je me suis posé des questions sur ce qu'il avait appris à l'école, dont il ne parlait guère. Ensuite un ami m'a parlé d'une école où il se faisait des choses extraordinaires, sur les crêtes du Jura. Il m'y a conduit ettout de suite j'ai été enthousiasmé par le travail de Gilbert Hirschi. J'ai vite décidé que je reviendrai en ces lieux pour y faire un film, en dépit de l'"affaire" qui allait nous compliquer la vie.
- Quels problèmes particuliers vous a posé ce film ?
- Humainement parlant, c'est justement cette "affaire" que nous avons dû affronter Durant l'été 2005, l'instituteur fut en butte à une sombre cabale que j'ai suivie de près.
- Que lui reprochait-on ?
- À côté d'accusations relevant de la pure calomnie, je crois qu'on lui reprochait essentiellement son exigence.Le conflit nous a amenés en justice, et j'aurais pu faire un autre film, affreux,sur le thème de "la rumeur". Mais je ne voulais pas gâcher mon sujet...
- Le film saisit par la proximité que vous entretenez avec les enfants. Comment y êtes-vous parvenu ?
- Nous avons d'abord passé un mois à l'apprendre. Ensuite,la technique s'est imposée: tout à l'épaule, à deux caméras travaillant en champ/contrechamp; et tout en gros-plans, tout à hauteur d'enfant. Une technique de prise de son sans perche ajoute à la proximité.
- Qu'avez-vous appris en tournant ce film ?
- Beaucoup de choses sur une façon de transmettre le savoir de manière vivante et "globale", incarnée par Gilbert Hirschi. Sa méthode consistant à mettre sans cesse en relationles disciplines variées, et son appel "multisensoriel" à tous les aspects de la perception, au geste et au toucher, à tout ce qui relie les mots et les choses, m'a donné une belle leçon de vie !
C'est d'abord un magnifique hommage au très noble métier d'instituteur que Tableau noir, où les noms de Gilbert Hirschi et de sa collègue DéboraFerrari, "maîtresse d'appui", méritent la première mention à la craie blanche. La présence de ces deux enseignants "généralistes" irradie bonnement le nouveau film d'Yves Yersin, mais c'est à vrai dire à tous les enseignants, sans culte de l'exception, qu'est dédié ce film dont les premiers acteurs sont les enfants.
Chronique d'une annéeponctuée par les saisons, les travaux et les fêtes de toute une communauté montagnarde également présente au long du film, Tableau noir échappe à toute exposition "scolaire" par le truchement d'un récit à la fois très libre et très cohérent, sans une minute d'ennui , que rythme un montage également déterminant.De l'arrivée des enfants en classe au premier bain commun en piscine où les grands aident les petits, de la leçon de chosesà la montée à l'alpage, du crépage de chignon de deux chipies à la préparation du spectacle de Noël, en passant par les observations avec la potière ou le fromager, les chansons en allemand et la virée outre-Sarine, les séquences dansent comme les images d'un kaléidoscope aux belles couleurs, sans que les enfants ne soient jamais mis en vedette. Gilbert Hirschi a transmis son savoir d'instituteur "généraliste" pendant plus de quarante ans, avant d'être mis en retraite anticipée à l'âge de 62 ans. Ses adieux sont empreints de tristesse partagée, mais il est le premier à montrer aux gosses la route qui continue, et c'est sans peser sur les circonstances de la fermeture de l'école qu'Yves Yersin conclut ce document à grande valeur poétique.