Dans un supermarché de Caracas (photo: Reuters / Jorge Silva)
Titre cru pour une réalité crue : il y a pénurie de papier hygiénique Au Venezuela ! La pénurie ne touche pas, d’ailleurs, que le seul papier hygiénique. La farine de maïs, la farine de blé, l’huile, le sucre, le savon, le dentifrice… font aussi partie de ces produits qui ne font que des apparitions très épisodiques sur les rayons des supermarchés. Mais bizarrement, c’est le papier-toilette qui a causé le malaise le plus évident. À mesure qu’il disparaissait des étagères, la panique est montée de plusieurs crans dans les foyers vénézuéliens !
La presse, tant nationale qu’internationale, a évidemment fait ses choux gras d’une nouvelle aussi insolite. Mais, règle du genre, ses reportages sont restés superficiels et plutôt "mal torchés", pardonnez l’expression ! En France, certains journaux télévisés ont repris la nouvelle, comme ceux de France 24, Euronews et, ici, de BFM :
Histoire de relâcher la tension, le gouvernement a décidé d’importer 50 millions de rouleaux de papier hygiénique… Un emplâtre sur une jambe de bois, car cette quantité assure moins de 15 jours d’approvisionnement de ce pays gros consommateur. En effet, la consommation mensuelle se situe, selon les dires du ministre lui-même, autour de 125 millions de rouleaux (ce qui équivaut, soit dit en passant, à la quantité non négligeable de 4 rouleaux par mois et par habitant !).
L’importation : c’est là la réponse classique de tous les gouvernements vénézuéliens lorsqu’il y a pénurie. Ils espèrent ainsi à la fois réapprovisionner le marché et maintenir les prix accessibles à la population (tout en permettant à leurs amis importateurs de se sucrer au passage par des contrats souvent juteux…).
Guerre économique, implications politiques
Des pénuries, il y en a eu régulièrement au Venezuela, même avant Chávez, et même de papier hygiénique ! Traditionnellement elles constituaient un moyen de pression des producteurs pour obtenir une augmentation des prix contrôlés par le gouvernement. Mais, étant donné le climat politique délétère du moment, les pénuries actuelles sont d’un ordre quelque peu différent. Pour les expliquer, le gouvernement invoque non seulement une "guerre économique" mais aussi de fortes implications politiques. Selon lui, les fabricants seraient de mèche avec l’opposition pour ne pas mettre leurs produits en marché, ceci dans l’espoir de provoquer le mécontentement parmi la population, et d’entraîner à terme la déstabilisation du pays.
Les principaux intéressés nient en bloc et répliquent que c’est au contraire la politique économique du gouvernement qui est la cause de ces pénuries : les restrictions imposées pour l’obtention de devises les empêchent d’importer les matières premières nécessaires à leur production, tandis que la fixation des prix sur les produits de première nécessité les oblige à produire à perte. Ils ajoutent que les nationalisations d’entreprises ont été un fiasco complet dont la principale conséquence a été la forte baisse de la production de biens dans le pays.
Accusations réciproques
Privée d’information véritable, la population doit dès lors se contenter de compter les points de ce pugilat. C’est elle aussi qui doit souffrir au quotidien toutes les conséquences d’une économie qui, dans les faits, s’en va à vau l’eau, pour ne pas dire, comme certains, qu’elle sombre tout à fait. Concrètement les Vénézuéliens doivent apprendre à vivre avec les pénuries, en errant de supermarché en supermarché pour trouver miraculeusement quelque produit manquant, en achetant à des prix surévalués sur les marchés parallèles qui se constituent au coin des rues, en trouvant des substituts aux produits disparus, en allant s’approvisionner dans la Colombie voisine, ou tout simplement en se privant. La quotidienneté vénézuélienne est ainsi faite de ces infinis subterfuges. Pas facile, la vie sans papier-cul !
Dessus de l’iceberg
Le papier hygiénique n’est bien entendu que le dessus de l’iceberg d’une situation bien plus complexe. La vraie question qui se pose est de savoir si une politique économique basée sur le contrôle et les restrictions peut aboutir à autre chose qu’à des pénuries.
En bonne logique libérale, c’est purement et simplement impossible. Dans une logique sociale (ne disons même pas socialiste), malgré les bonnes intentions affichées par le gouvernement, le Venezuela n’a pas su prouver que c’était possible.
C’est que les intentions, aussi bonnes soient-elles, sont loin d’être suffisantes, lorsqu’elles font face à de dures réalités économiques, pesanteurs sociologiques et déviations bureaucratiques.
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