Un mauvais début pour le chavisme sans Chávez

Publié le 22 avril 2013 par Jean-Luc Crucifix @jlcrcfx

"Cacerolazo" [concert de casseroles] à Caracas. (Photo : AFP / Luis Acosta)

Vous allez peut-être me reprocher de vous parler une fois encore de politique. Mais nous venons de passer une semaine post-électorale tellement mouvementée –presqu’au bord du gouffre– qu’il serait à la limite indécent de parler d’autre chose.

Contestation des résultats électoraux par l’opposition, manifestations de rue, violences physiques, morts, arrestations, proclamation officielle de la victoire du candidat chaviste, prestation de serment, le tout sur fond de cacerolazos [concerts de casseroles] fomentés par l’opposition, on aura tout eu en l’espace de quelques jours. Avec tous les risques de débordement imaginables, ponctués d’accusations de putsch de part et d’autre, et, au bout de la spirale, la guerre civile comme possibilité.

Une gestion de crise déplorable

Disons-le tout de go : la gestion de la crise a été déplorable de la part du chavisme sans Chávez, et montre immédiatement ses limites. Acceptation du recomptage des voix par Nicolás Maduro lors de son discours de victoire, refus le lendemain par le Conseil national électoral (CNE) contrôlé par les chavistes, puis, sous la pression de l’Union des nations sud-américaines (UNASUR), à nouveau acceptation du recomptage, avant de préciser, le lendemain, que "l’audit des bulletins ne changera pas le résultat du vote" : de telles contradictions et pirouettes ont de quoi désarçonner quiconque, depuis les opposants bienveillants jusqu’aux chavistes les mieux intentionnés, laissant finalement tout le monde sur sa faim.

Que dire aussi de la manipulation de l’opinion à propos de la destruction de plusieurs cliniques populaires, le gouvernement accusant des opposants d’extrême droite tandis que l’opposition assurait que c’était le fait de chavistes déguisés en opposants. Cette guerre de fausses rumeurs orchestrées de part et d’autres (car les faits n’ont pas été avérés) n’a rien fait pour calmer les esprits.

Manifestation à Caracas (Photo : AP / Ramón Espinosa)

Dans cette situation extrêmement tendue, il était inutile et dangereux de jeter de l’huile sur le feu. C’est pourtant ce qu’a fait le gouvernement, criant au coup d’état "fasciste" commandé par les États-Unis et appelant ses partisans à la radicalisation.

Peut-être Hugo Chávez aurait-il suivi cette ligne dure, mais n’est pas Chávez qui veut : l’ancien président avait un leadership assuré, tant sur les civils que sur l’armée, que Maduro est très loin d’avoir. Il disposait aussi d’une assise populaire plus solide que ce pauvre 50,78 % dont est crédité Nicolás Maduro. On ne gouverne pas un pays divisé en deux parties égales comme si l’on avait 70 % de l’électorat en sa faveur. Or c’est ce qu’a semblé faire le chavisme sans Chávez durant cette première semaine de pouvoir, et ce dès le discours de victoire de Nicolas Maduro.

Une autre voie

Les conditions réelles du pays imposent une autre voie. Comme l’écrit justement José Vicente Rangel, qui fut vice-président de Chávez de 2002 à 2007 et reste attaché au "processus" : "C’est le moment de la politique. De s’ouvrir au dialogue. Il faut chercher avec audace les interlocuteurs, qui, de mon point de vue, existent".

L’équipe au pouvoir accédera-t-elle à cette ouverture, à ce dialogue ? Rien n’est moins sûr. En effet, ce serait, pour le chavisme, un changement total de paradigme. Et à supposer que le président Maduro désirerait aller dans ce sens, le pourrait-il seulement sans mettre en danger le fragile équilibre des tendances au sein du chavisme ?

C’est pourtant, selon de nombreux observateurs, la seule voie possible. Tous les sondages indiquent que 80 % des Vénézuéliens désirent mettre un terme à la polarisation politique extrême du pays et à nouveau se rencontrer comme nation. Sans l’ouverture de ce dialogue, le pays risque de se trouver face à un avenir fait d’instabilité permanente, qui pourrait dégénérer, à terme, en guerre civile larvée.

Il revient à Nicolás Maduro et à son équipe d’avoir le courage politique de rompre avec le chavisme de Chávez et d’entamer le dialogue. S’il ne corrige pas ce mauvais début, le chavisme sans Chávez pourrait se terminer en farce.


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