Le récit que Charles Joseph de Ligne fait de ses deux rencontres avec Jean-Jacques Rousseau est plaisant et son admiration est sans limite. Il voue une sorte de culte au philosophe et tente de lui donner des conseils.
On apprend à y connaître une gloire qui se cache, un esprit qui se sait traqué et un botaniste fervent qui a cueilli une partie des plantes de son herbier sur les collines de Montmorency et au bord du lac d'Enghien.Des yeux, comme deux astres« Mr Rousseau, plus vous vous cachez, et plus vous êtes en évidence ; plus vous êtes sauvage, et plus vous devenez un homme public. » Mais le philosophe est méfiant. Ce Prince ne lui inspire pas confiance. Il craint de tous, et de l’Europe entière. Ses écrits sont en permanence l’objet de poursuites et il s’attend à être emprisonné ou en tout cas à devoir fuir : retourner en Suisse, s’exiler en Angleterre, ou à tout le moins à franchir les limites de l’octroi de Paris, ce qui malgré ses amitiés avec de nobles familles, ne le mettrait pas vraiment à l’abri de la Loi.« Ses yeux étoient comme deux astres. Son génie rayonnoit dans ses regards ; et m’électrisoit. Je me rappelle que je finis par lui dire, les larmes aux yeux, deux ou trois fois : Soyez heureux ; Monsieur, soyez heureux malgré vous. Si vous ne voulez pas habiter le temple que je vous ferai bâtir dans cette souveraineté que j’ai en Empire, où je n’ai ni parlement, ni clergé, mais les meilleurs moutons du monde, restez en France. Si, comme je l’espère, on vous y laisse en repos, vendez vos ouvrages, achetez une jolie petite maison de campagne près de Paris ; entrouvrez votre porte à quelques-uns de vos admirateurs et bientôt, on ne parlera plus de vous. »On sait que ses ouvrages philosophiques lui valurent des admirateurs et un transfert au Panthéon au milieu des plus grandes gloires « nationales », lui l’Européen. Mais on lui connaît tout autant d'ennemis mortels, où Voltaire, son face à face au Panthéon, figure en bonne place, Jean-Jacques tenait les ouvrages de botanique et les herbiers pour des productions dont il pourrait tirer quelque argent, mais il était intimement persuadé qu'ils dépassaient de très loin le seul avantage utilitaire.
On peut dire que c’est certainement l’image de Rousseau la plus célèbre dans le monde entier. Un homme, son génie intellectuel, ses passions quotidiennes, son amour de la nature et des rêveries solitaires et le temps, minutieux, à faire collection de son environnement. « […] je contemplerai, je cueillerai, j’arracherai, je diviserai, j’anatomiserai peut-être, mais je n’irai point d’une main stupide et brutale pilant et déchirant [les] fragiles beautés que j’admire. Je veux que mes yeux en jouissent, qu’ils les observent, qu’ils les épuisent, qu’ils s’en rassasient s’il est possible : ces figures, ces couleurs, n’ont pas été mises là pour rien », écrit-il dans « Fragments de botanique ».
Il existe un Suprême Ouvrier, quelque part, qui a créé cette beauté délicate et colorée qu’il faut admirer, protéger et conserver pour mieux l’étudier et en connaître les variétés, à la suite du grand Linné. Ainsi, Rousseau, au milieu de sa course folle, de sa paranoïa et d’une vie où les plus jolies demeures succèdent à des abris de fortune, prend-t-il le soin de chercher les endroits où la création est venue enchanter le monde