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Mon scénario à vendre II
Publié le 29 avril 2008 par Didier T.Après le cinéma, je me lance dans la littéraire. Il faut dire qu’il est facile de choquer (devenir écrivain). On prend un thème à la mode, on y ajoute quelques scènes bien scabreuses, deux ou trois suicides et le tour est joué. Parlé jeune, héros à la dérive (on préférera le terme « écorchés vifs » dans les magazines). Et si possible, quelques scènes de cul bien pimentées (ne surtout pas les oublier celles-là, sinon c’est le bide assuré). Autre secret de fabrication, avoir un nom de famille très connu. Ou, à défaut, un pseudo qui fasse le buzz sur le Net. Sachant que la durée de vie moyenne d’un roman est d’approximativement deux mois (de sa sortie au pilon), qu’il en sort plusieurs dizaines de nouveaux chaque semaine (allez, chaque mois, je ne suis pas chien non plus), que les étales des libraires ne sont pas extensibles, que les investissements doivent être rentabilisés, qu’avec le coût de la vie, tel qu’on le connaît, ma pauvre Eugénie, faudrait voir à pas exagérer et à garder la tête sur les épaules... Me voilà donc romancier.
C’est décidé.
Après tout, je suis décadent puisque je me drogue (enfin, je me droguais, donc je suis « décadent Et repenti », c’est tout de même mieux. Plus présentable. Surtout auprès de notre public plus âgé). Quant à savoir ce que je fais dans la vie. Non, je ne fais pas de sport mais si vous y tenez, j’ai longtemps pratiqué avant qu’un accident bête ne brise ma carrière en pleine ascension. Quelle carrière ? Voyons. Quant aux filles… Je les prends toujours par trois (moins que ça, je m’ennuie). Cet été, je pars à la Baule, la Côte, c’est très surfait vous savez. D’autant qu’à la rentrée, je vais entamer une brillante carrière dans la publicité (parce qu’avec mon diplôme des beaux-arts, je ne sais vraiment pas quoi faire d’autre). Et puis il y a Lou (ou Vanessa, ou Constance). On s’est rencontrés en boîte, ou chez Bob, enfin, à la piscine du Véme arrondissement (Quoi ? Y’a pas de piscine dans le Véme arrondissement ? Et alors ? Pour ce qu’on en a à foutre…). Elle vit encore chez ses parents. Des cadres sup’ qui peinent à boucler leurs fins de mois. Ensemble, on fait plein de projets. Elle, elle rêve de devenir architecte d’intérieur. Moi, je me verrais bien golden-boy ou diplomate (enfin, je suis déjà publicitaire, ce qui n’est déjà pas si mal, convenez-en). En tous cas, on est jeunes, beaux et fabuleusement riches. On vit des instants intenses et passionnants. On voyage en voiture de sport mais on préfère toutefois la bicyclette (on a d’ailleurs volé des vélib’ qu’on a repeint en rose pour pas se faire choper). Parfois, le soir, Lou (ou Vanessa, ou Constance) se promène à poil sur le balcon de notre 160 m². On prend des photos qu’on balance sur le Net. On se marre en comptant le nombre de connexions. En songeant à tous ces pauvres types qui se paluchent devant. « Sur la prochaine, tu montreras ton cul, en gros plan ». Lou (ou Vanessa, ou Constance) est d’accord. Ce genre de fille ne connaît pas la pudeur. Ni moi, la jalousie. Nous sommes modernes et bien dans notre peau. Détendus, juste ce qu’il faut. Il faut dire qu’à vingt ans à peine, nous avons déjà entamé une analyse. Indispensable pour se sentir bien. Savoir de quoi on est fait. Pourquoi on vit.
Quand je pense à tous ces bouseux qui ignore cela et prétendent au bonheur !
Seulement voilà, l’image devient floue, peu à peu, se brise. Un acide pas mûr, une fille trop vivante, bref, la maladie. Terrible. Effrayante. Injuste. Qu’est-ce que j’ai bien pu bouffer ? C’est pas les huîtres au moins ? Non. Les copains m’avaient pourtant bien prévenu. Mais on ne les écoute jamais. Arghhh. La souffrance. Et ce chemin de croix, on n’en voit pas le bout. Sans parler de ma mère, à qui je n’adresse plus la parole depuis des années. Va-t-elle venir à mon enterrement ? Sera-t-elle seulement au courant de mon agonie ? Qui le lui dira ?
Lou (ou Vanessa, ou Constance) me quitte. Je ne l’amuse plus avec tous ces tuyaux qui me sortent du nez. Elle préfère les Porsche et les villas sur la Côte. Les gens en bonne santé. Je ne lui en veux même pas. D’autant que je viens de rencontrer Nathalie (ou Florence, ou Pascaline). Elle est infirmière, elle s’occupe bien de moi. Change mes draps. Soigne mon corps. Mais notre passion est vouée à l’échec, nous le savons tous les deux. Parce que dans deux semaines, je serai mort.
Mort et enterré.
Putain, si j’ai pas le Prix de Flore avec ça, je comprends plus rien.Publié par les diablotintines - Une Fille - Mika - Zal - uusulu