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Potentiel du sinistre (Thomas Coppey)

Publié le 23 août 2013 par Despasperdus

Au mois d'août, la fréquentation des bibliothèques municipales permet aux rares visiteurs de découvrir un large choix de bouquins nouvellement acquis. Ainsi, ai-je emprunté, sur la seule foi de la description de la 4ème couverture, Potentiel du sinistre.

L'auteur met en scène un couple de jeunes cadres supérieurs, en l'espèce, l'archétype de la petite bourgeoisie encore épargnée par la crise qui a atterri dès la sortie des grandes écoles à des jobs très bien rémunérés. Chanard et sa femme forment la famille moderne de bobos élevés dans le culte de la réussite et de la performance. Des gens privilégiés au parcours linéaire à qui tout sourit.

« C'est mon présent pour son avenir. Marwani, recruteur-manager en quête du profil qui apportera une réelle plus-value à l'équipe recherche du pôle Investment Banking, sait apprécier l'expression d'une telle faiblesse. Il applaudit, il valide puis libère Chanard et shoote un mail à la directrice des ressources humaines. Chanard a du potentiel. Il est smart et courtois. On va le staffer au plus vite et on verra à quel genre de performer on a affaire. »

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Au début du roman, Madame profite des derniers jours de son congé maternité avant de réintégrer son poste de cadre supérieur au sein d'une multinationale, et Monsieur, ingénieur financier, est recruté par le deuxième groupe bancaire international. Ce dernier est un accro du boulot, les vacances lui pèsent et le bureau lui manque, bien qu'il consacre la plupart de son temps à lire des rapports et à rester en contact via les mails.

« Il y apprend que le Groupe garantit à ses clients conseils pertinents, qualité et prix concurrentiels. le Groupe protège les investissements de ses actionnaires et leur offre un rendement élevé et à long terme. Il propose à ses collaborateurs des emplois captivants, accompagnés d'une rémunération attractive et évolutive. Il accorde une importance toute particulière à l'épanouissement personnel de chacun et veille au respect de l'égalité des chances. Chanard n'objecte rien, il est tout particulièrement d'accord avec le dernier point. Egalité des chances, la victoire aux meilleurs. »

L'adhésion aveugle à la culture d'entreprise et le manque de recul et de réflexion font de cet homme, instruit et cultivé, un salarié complètement exploité et surtout aliéné. Dévoré par l'ambition professionnelle, sans pour autant se fâcher avec ses collègues, tout aussi ambitieux que lui, il néglige sa famille et ses amis pour trouver le Graal qui le propulsera au sommet de la hiérarchie.

« MesPerfs est un outil en ligne comparatif transparent et simple d'utilisation, destiné à tous les employés. Le but de MesPerfs est de mesurer la performance de chacun selon les mêmes critères, à tous les échelons du Groupe. Il permet de renforcer la culture du Groupe en assurant une base commune pour toutes les procédures d'évaluation de notre Capital Humain. La philosophie de MesPerfs repose sur le dialogue qui aide à déterminer les objectifs. L'outil soutient la discussion, il ne l'élimine pas. Les performances mesurées par MesPerfs sont prises en compte dans l'attribution des primes. MesPerfs est disponible en ligne 24/7. Cet outil objectif ne doit pas être utilisé seul, il est recommandé de lui associer le 360° feedback, nourri par les informations tous azimuts. »

Chanard imagine, avec l'aide de sa femme, un produit financier complexe pour spéculer sur les catastrophes naturelles, sous-couvert d'offrir aux assurances un fonds de garantie pour couvrir des frais exceptionnels et assurer ainsi les populations menacées. Bien évidemment, ce projet innovant et prometteur enchante la hiérarchie qui néanmoins veille à l’enrober d'un discours humaniste. Paradoxalement, ce succès professionnel entraînera sa vertigineuse chute.

« Loisir, bonheur et microfinance. Tu es sur la bonne voie je crois. Associer profit personnel et bien-être pour tous est non seulement le meilleur moyen de promouvoir une idée ou un produit, mais aussi une manière généreuse de se positionner sur un marché et dans un monde en mutation. N'hésite pas à présenter les choses de cette façon.(...) »

Thomas Coppey tourne en dérision la phraséologie de l'entreprise. Un vocabulaire émaillé de mots anglophones légèrement francisés, abscons et technique, entièrement dévoué à la productivité, au rendement, au profit, à l'actionnaire et à l'entreprise. Certaines situations sont parfois cocasses, par exemple lorsque ses personnages continuent d'employer ce jargon à l'extérieur même de l'entreprise, tant ils sont imprégnés et conditionnés.

« Lors de leur première rencontre, le junior avait beaucoup plaisanté. Quel produit génial, on se croirait au casino. Spéculer sur une tornade ou un tremblement de terre, je trouve ça encore meilleur que de parier sur la faillite d'une entreprise ou la dette d'un Etat. »

L'auteur décrypte - et dénonce - ce langage managérial au service de l'entreprise pour manipuler, pressurer, fliquer les salariés, les analyser, leur imposer ses codes et ses exigences, et exclure ceux qui n'entrent pas dans son moule. Un bouquin passionnant. Et, en creux, la dénonciation d'un système cynique et injuste qui aliène et exploite les salariés et qui favorise tous les excès au nom de la croissance et de la finance.


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