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L'oeil était dans la tombe et regardait Caïn

Publié le 30 avril 2008 par Boo

L'oeil était dans la tombe et regardait Caïn 

Depuis des semaines, un carton de livraison vide était devenu l’antre de Saucisse. A bien y regarder, on aurait pu croire qu’un fauve l’habitait. Tapissé de poils, grignoté sur les côtés, avachi sous le poids de son hôte, de sa belle prestance cubique ne restait plus qu’un souvenir d’une forme innommable. Il gisait là, amorphe et crasseux, dans un coin de la chambre. Saucisse la tigresse y avait entassé les reliques d’un vieux coton-tige, un bouchon de liège en partie mâchonné, et quelques croquettes défraichies pour ses fringales nocturnes.
Depuis des jours, l’idée de balancer cette horreur aux ordures me chatouillait agréablement l’esprit. Mais mon ami, toujours prompt à se mettre du côté de la rouquine teigneuse, avait plaidé en sa faveur : « laisse lui son nid, en quoi il te gêne ? Elle de son côté n’aime peut-être pas le rose de notre couette, et elle ne vient pas cracher dessus pour autant... ». Argument imparable quoique légèrement malhonnête, je laissai donc en place le carton cradingue.
Et puis hier, alors que je me penche à côté de l’ignoble nid (pour le moment inoccupé) pour ramasser une paire de chaussette abandonnée par Monsieur Morale, j’aperçois… Ah non ! Une puce ! A peine ai-je eu le temps de la voir au fond du carton que déjà, elle est ailleurs. Quelque part dans ma chambre. Déjà sur ma couette, peut-être. Bientôt sur mon oreiller, sûrement.
Il y a des limites à ce qu’une fille peut tolérer dans sa chambre, que ce soit par amour pour son chat ou pour son homme. Oui, il y a des limites, et cette puce vient de les franchir en même temps que les parois de son carton.
En 5 minutes, carton, coton-tige, bouchon, vieilles croquettes et autres probables habitants indésirables se retrouvent dans la benne à ordure du coin de la rue.
« Une bonne chose de faite » me dis-je en regagnant mon chez moi enfin désinfecté. Mais quand j’ouvre la porte, Saucisse est là, au milieu du salon. Assise sur le carrelage. Elle me regarde. Elle sait, et elle me regarde. Ma Saucisse, qui d’habitude ne se fait pas prier pour clamer haut et fort ses revendications, se drape maintenant dans l’éloquence de la carpe, mais l’œil perçant qui me fustige en dit plus long que tous les discours.
« Bah, elle se trouvera bien un nouveau coin » me dis-je en me dérobant au regard accusateur.
Le soir même, alors que je m’apprête à aller me coucher, et jetant machinalement un coup d’œil à l’emplacement de feu le carton infectieux, elle est encore là. Assise. Muette. Son œil orange braqué, inflexible.
J’éteins la lumière.
Ce matin, alors que je tends un bras mollasson dans le but avoué d’assommer mon réveil, je sens un poids suspect du côté de mon épaule gauche. Une touffe de poils me caresse le nez. Et c’est encore l’œil accusateur de Saucisse qui me blâme de bon matin.
Douchée, habillée et caféinée, je vais pour m’installer devant mon ordinateur et cueillir les infos du jour, mais ma chaise est déjà squattée. Et cet œil me regarde toujours.
Dans la chambre, assise sur le carrelage de la salle de bain, sur le canapé du salon, sur ma chaise ou devant la porte des toilettes, partout cet œil me suit.
... et qui le regardait dans l'ombre fixement. Il m’aura fallu moins d’une demi-journée pour me rendre à l’évidence : ce que chat veut, Dieu le veut.
Alors, baissant les armes, je me jette aux pieds de mon marchand de journaux, celui-là même qui déjà me prend pour une future femme adultère doublée d’une potentielle voleuse d’enfant, pour aller quémander un carton de livraison, peu importe lequel, oui ça c’est assez grand c’est parfait, c'est pour emballer mon chat vous comprenez, merci beaucoup.
Je l’installe au même endroit que l’ancien. Y dépose un coton-tige tout neuf, une boulette de papier et même un bonnet en laine polaire que je n’ai jamais porté mais qui fera certainement plaisir à la duchesse.
Une heure plus tard, je monte voir si le nouveau nid est habité. Il l’est. Par une délicieuse crotte encore fumante. Et Saucisse, installée sur mon oreiller, se lèche nonchalamment la patte sans m’accorder le moindre regard.

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