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Chroniques d’été – Episode 18

Publié le 31 août 2013 par Antropologia

Dernières impressions d’Afrique

Fin du voyage à Dionwar, l’une des innombrables îles du delta du Siné Saloun…
Après une heure de pirogue, sous un soleil de plomb, nous rejoignons en charrette la maison de notre hôte d’un soir, Ayoune. Le jeune homme rentre de Dakar où il travaille, pour retrouver son épouse et son enfant . Immigré de l’intérieur, il ne revient que lorsqu’il a gagné assez d’argent au tri postal de la capitale pour le donner à sa famille. De longues semaines d’absence, mais lui, au moins, reviendra auprès des siens. Nous nous taisons sur le ventre de la mer qui a pris tant et tant de jeunes gens de son île, ceux qui n’ont pas réussi à atteindre les rivages de l’Europe, promesse de richesse…
Au bord du Saloun, des groupes de femmes font la lessive, pour leur foyer ou pour gagner quelques francs en lavant le linge des autres. Comme toujours, des gamins malicieux suivent en gambadant la paire de toubabs que nous sommes…Un grand gaillard grimpe prestement sur un anacardier .Il en redescend avec des noix de cajou que des petits décortiquent puis font griller sur des foyers improvisés, avant de nous les offrir. Ils ne demandent rien en échange. Je m’en étonne : c’est la fin de notre voyage .Je suis sur la défensive, exaspérée par les « Toubab toubab, donne-moi un cadeau », ou les «  Money money ! » de collégiennes broussardes émancipées que j’aurais bien giflées, finalement, plutôt que de leur répondre avec  pédagogie et humour ! Et voilà que ces gamins viendraient me faire regretter cet agacement tenace et néanmoins coupable qui a désenchanté mon voyage !…
Nous franchissons le large portail métallique de la concession .Le linge sèche sur des fils tendus mais aussi à même le sol de coquillages. Des filles joyeuses font le va-et-vient entre le fleuve et la cour, retournent les pièces de linge multicolores en riant. Je traverse un paysage idyllique : c’est le bord  du fleuve où Nausicaa et ses servantes  allaient découvrir Ulysse le naufragé…Instant fugace et absolument poétique…
Sur le seuil, une dame nous accueille. Elle a  abandonné son lourd fer à repasser à braises, pour nous montrer nos chambres, promesses de luxe et de repos! Le mobilier de la maison sénégalaise moderne est impressionnant : couchage immense doté d’une tête de lit énorme, sculptée et vernie, voilages à pampilles et dentelles dorées, et surtout  coiffeuse monumentale occupant presque tout un mur , décorée de fleurs artificielles, peluches et fanfreluches «  made in China », bibelots  divers . Si j’ai déjà vu encore plus grand, plus scintillant chez des citadins aisés , ici, dans cette maison sans électricité ni eau courante, tout le mobilier – y compris  sanitaire en faïence de la salle de bains -  témoigne d’un goût du beau  et du confort « à l’européenne »…Je ferai ainsi à tâtons une toilette aussi  laborieuse qu’approximative, me versant des bassines d’eau sur la tête, en évitant si possible margouillats et autres plus petites bêtes, aussi délicieuses qu’inoffensives , qui galopent entre les éléments du sanitaire en attente d’hypothétiques branchements.
Un repas nous est servi dans le salon, tout aussi cossu que nos chambres.Sur le canapé, on a, visiblement à notre attention, laissé un numéro du magazine « Gala », vieux de plusieurs mois. En couverture, une photo du couple Strauss-Khan, accompagnée d’une phrase exprimant leur désir d’aller vivre en Israël, après l’ affaire du Carlton. Les VIP qui ont défrayé la chronique ne sont pas partis.Mais les VIP au petit pied que nous sommes – notre présence va tout de même améliorer un peu l’ordinaire de la famille !- ne peuvent manquer de s’ intéresser aux crapougneries de leurs semblables.D’où ce « petit plus », offert par nos hôtes…
Ce malentendu m’amuse plus qu’il ne m’irrite…mais persiste la petite frustration, souvent ressentie quant aux représentations que nous avons les uns des autres, ici ou ailleurs ,et qui nous font dire : « Non, je ne suis pas celle ou celui que  vous croyez! », avec agacement ou colère. Mais que cet « autrement » si perturbant est fascinant !

Nicole Tanneau



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