Vers le roman V
J’ai lu une interview de Jérôme Meizoz. Il a fait des études. Nouveauté dans la famille. Il écrit. Dans son dernier livre, il parle de son père.
Je pioche au hasard :
"Mon père a voulu que l'on fasse des études, parce que c'était la génération de la démocratisation des études […]. En même temps, ces études m'ont jeté dans un monde qui n'avait plus guère de rapport avec celui de mon père. […] Les enfants de ces ouvriers devenus, grâce à la démocratisation scolaire, des enseignants, des psychologues, ont le sentiment d'une dette à l'égard de ce milieu qui n'est plus le leur et qui se meurt. Des enquêtes ont été menées sur la photographie mémorielle dans la région de la Lorraine: beaucoup de ces jeunes essayent, en prenant en photo l'usine où travaillaient leurs pères, de se réapproprier un bout de mémoire. […] Maintenant, la question que je me pose, c'est si la vision des ouvriers que je transmets dans mon texte n'est pas sans le vouloir celle des lettrés."
Il m’est arrivé quelque chose, ces jours-ci, en écrivant.
J’avance. Je cherche mes mots. «Fouine» me vient, puis «rousseur». En me relisant, je lis «fouine», puis «rousseurs» et soudain je pense à Jacques Chessex.
Sentiments mêlés. D'abord, j’éprouve un sentiment inattendu d’appartenance. C’est comme si les mots faisaient le Jura et familier tout de suite (ce sentiment est mâtiné de celui, assez jouissif mais extrêmement bref, de me prendre pour Jacques Chessex).
Ensuite, je suis embêté parce que, dans le passage en question, je suis avec un ouvrier dans le tram des années soixante et l'ouvrier n’est pas Chessex (moi non plus, je dois en convenir). Alors, est-ce qu’il voit la rousseur vers le Jura? En un sens, oui: si c’est roux, c’est roux... Mais pourquoi pas «rouille» aussi, ce serait mieux peut-être? Encore une fois, je me relis et je conclus que non, cette translation des qualités, non, ça ne va pas…
Ici, ça ne va pas. Ailleurs, des fois, ça va.
par Filippo Zanghì