Nanterre, Bidonville de La Folie (1962-66)
Cette BD est un reportage rétrospectif sur l’un des aspects les moins glorieux des «Trente
Ce reportage a le mérite d’aborder la question de l’immigration d’une manière que les débats politiques empêchent, versant systématiquement dans le registre émotionnel ou sentimental pour des raisons électorales. D’une certaine façon, la condition des immigrés s’est aggravée par rapport aux années 60, en raison du défoulement hystérique et des fantasmes dont cette catégorie de la population est l’objet.
Les différentes facettes du problème sont abordées sans fausse pudeur : cette main-d’œuvre algérienne est à la fois victime de sa propre bêtise et de son appât du gain ; elle franchit le cap en croyant que la France est une sorte d’Eldorado pour tous, où les richesses sont également réparties ; et l’industrie du BTP, avide d’une main-d’œuvre corvéable, est la première bénéficiaire de cette duperie. L’ambition familiale traditionnelle fait le jeu de l’industrie moderne, pratiquement sur le modèle de la conscription militaire et sa tactique sous-jacente.
L’accent n’est donc pas tant sur les brutalités policières, occasionnelles, que sur un système économique qui, dans ces années, ne connaît pas encore les ratés qu’il connaîtra dès le début des années 70. On devine que la mesure de «regroupement familial», derrière l’apparence humaniste ou compassionnelle, ne l’est pas seulement, mais aussi une mesure profitable en termes d’encadrement d’une population d’ouvriers pauvres, dont la tendance à se tenir à carreau est redoublée du fait de la charge de famille (et les salaires touchés sont dépensés en France). Le cas de figure du regroupement familial est typique de la manière publicitaire dont les politiques libérales endossent les habits de l’humanisme.
La guerre d’Algérie, dont le bilan très lourd (200.000 morts du côté algérien) ne sera connu que plus tard, place bien sûr «La Folie» de Nanterre en état d’ébullition. La manifestation du 17 octobre 1961 est, là encore, évoquée avec pudeur, du point de vue d’ouvriers pauvres qui n’avaient pas grand-chose à gagner à obéir aux ordres du FLN, ne pouvant se payer le luxe d’être « idéalistes ». On voit ici à quel point le sentimentalisme (ici le sentiment nationaliste pro-Algérie) imprime à l’homme le mouvement le plus erratique.
Je fais sans doute un compte-rendu quelque peu « anarchisant » de cette BD, mais il ne me paraît pas inexact de dire que ce reportage dessiné est assez exemplaire du témoignage dont il est difficile de tirer une conclusion idéologique quelconque, au service de tel ou tel parti. Cette quasi-absence de parti pris ou d’engagement est assez rare à l’heure où la lecture de la presse est devenue aussi enthousiasmante que celle du GPS, puisqu’elle consiste à fournir des coordonnées idéologiques ou identitaires au lecteur afin de le conforter.
« Demain, Demain », Laurent Maffre, Actes-Sud BD, 2012.