Le meurtre commis à Pau auquel j’avais consacré différents articles a été résolu en avril. Embarqué dans des délires pyramidaux (qui doivent eux aussi reprendre un de ces quatre) à ce moment-là, je n’avais pas pris le temps de faire un debriefing de mes différentes hypothèses et du dénouement de l’enquête.
L’ensemble des articles :
- Profilage criminel : tentative N°2 (1)
- Profilage criminel : tentative N°2 (2)
- Profilage criminel : tentative N°2 (3)
- Profilage criminel : tentative N°2 (4)
- Profilage criminel : tentative N°2 (5)
- Profilage criminel : tentative N°2 (6)
Une tentative de profilage ne peut jamais être exacte. L’affaire Merah l’avait déjà démontré.
A plus forte raison lorsque la presse, mal informée ou par défaut, va mentionner des informations inexactes voire erronées. Dans le cas Merah, l’accent avait été mis à tort sur la possibilité d’un meurtrier appartenant à l’extrême droite. Dans cette affaire-ci, l’élément qui m’aura probablement le plus induit en erreur est la chronologie des faits, lorsque la presse a relayé l’information selon laquelle le corps aurait été jeté à l’eau entre le 5 et le 12 juin 2011, comme je le notais dans mon dernier résumé des faits (article N°6).
Au-delà, ma plus grosse erreur aura été de penser un crime commis par une seule personne, quand dans la réalité des faits (tels qu’ils sont connus pour l’heure) il implique au moins deux, et peut-être jusqu’à cinq personnes.
De façon certaine, les deux personnes impliquées sont
- Mickaël B, un marginal de 25 ans au moment des faits, arrivé à Pau deux ans plus tôt.
- Claude D, 71 ans, ancien électricien, célibataire vivant à une trentaine de kilomètres au nord de Pau, à Cabidos.
Trois autres personnes au moins gravitent autour des deux premiers :
- Mike B, un autre marginal palois, d’un an le cadet de Mickaël B.
- Fatima E, 45 ans, marginale également, compagne de Mickaël B, mère de trois enfants.
- un certain Christian P, 49 ans au moment des faits, appartenant également au milieu marginal de Pau et décédé le 28 août 2012 (un peu plus d’un an après la mort de A).
Les quatre premiers vont être placés en garde à vue le 3 avril 2013, puis mis en examen (entre le 6 et le 7 avril). Le rôle exact de Christian P est probablement voué à rester inconnu.
Le principal suspect, Mickaël B, est le personnage central de l’affaire. Il a derrière lui une adolescence difficile et est connu des services de police pour des actes de violence et des cambriolages. Lorsqu’il arrive à Pau en 2009, il va successivement faire la connaissance des quatre autres.
Mike B, avec qui il va semble-t-il rapidement sympathiser et sur qui il va prendre l’ascendant (ce dernier souffre de problèmes psychiatriques). Déjà arrêté pour des vols.
Fatima E avec qui il va entretenir des relations, et là aussi qu’il va dominer (malgré la différence d’âge), allant jusqu’à parfois la frapper.
Christian P autour de qui se rassembleront régulièrement les trois autres pour des soirées alcoolisées et diverses errances entre les services sociaux de Pau. Là encore, malgré la vingtaine d’années qui les sépare, différents témoignages évoquent la manipulation exercée par Mickaël B sur Christian P. Enfin, relativement extérieur (par son âge, sa localisation géographique et son milieu social), Claude D fréquente parfois quelques marginaux palois et aurait ainsi croisé la route de Mickaël B (et très probablement des autres). Il entamera une relation homosexuelle avec celui-ci. Une relation forte unit les deux hommes, et les différents articles de presse et témoignages ne permettent pas de savoir qui dirige ce duo, même s’il paraît probable que Claude D domine Mickaël B, lui-même faisant donc office de "tête pensante" sur les trois autres.
Cela revient donc au schéma suivant : au centre Mickaël B, exerçant son ascendant sur les deux autres et en couple avec Fatima E, les quatre fréquentant le même milieu, influencés par Mickaël et se retrouvant vraisemblablement régulièrement chez Christian P (Christian P et Mickaël B sont a priori les deux individus qui soudent le groupe – l’un par son influence, l’autre par l’accueil qu’il propose). Reste Claude D, extérieur au groupe et qui probablement le domine, lui aussi entretenant une relation avec Mickaël.
Géographiquement, on a donc Cabidos à environ 30 kilomètres au nord :
Et pour ce qui est de la ville de Pau :
Encadré en noir, à l’est, la zone où disparaît A le 4 juin 2011, rue Galos ou rue du Dr Simian.
Au sud-ouest, en noir au niveau du gave, la zone de largage où sera retrouvé le corps.
En rouge, au nord, le domicile de Christian P. A l’est, là où loge Mike B (et, il me semble, également Mickaël B – à confirmer).
Notez la proximité géographique entre le lieu de disparition et le domicile de Mike B, à peine une centaine de mètres :
Le 4 juin au soir, A disparaît donc aux alentours de 23h00. Une altercation a lieu, quelque part rue du Dr Simian ou rue Galos alors qu’il rentre à vélo. Selon l’une des versions donnée par Mickaël B, il l’aurait par mégarde accroché avec son vélo. Ce dernier attaque A. Il est seul ou accompagné de Mike B (probable). Fatima E et Claude D ne sont pas présents, aucun détail n’est connu quant à Christian P.
Cela confirme donc l’itinéraire à vélo que j’avais supposé dans l’article 2.
Le 5 juin, entre minuit (soit une heure après l’agression de A) et 14h00, ce ne sont pas moins de 21 appels qui ont lieu entre Mickaël B et Claude D. Celui-ci entre donc en scène, pour un rôle indéterminé. Premier problème : qu’en est-il des policiers qui interviennent pour un homme ivre à quelques dizaines de mètres de la rue Galos quelques minutes à peine après le passage de A ? Qui est cette personne et a-t-il vu quoi que ce soit ? La question reste intacte. Autre problème : qui attache le vélo au poteau ? A ou l’un de ses agresseurs ? Quel rôle va jouer Claude D à ce moment-là, fait-il des suggestions quant au Mode Opératoire mis en place dans les heures/jours qui suivent avant d’intervenir directement ?
Là, un trou noir majeur intervient : entre le 5 et le 17 juin, impossible de savoir ce qui se déroule, ni même si A est toujours en vie dans cet intervalle. En effet, différents articles indiquent, comme je l’avais repris dans ma dernière chronologie (article 6), un meurtre ayant lieu entre le 4 (soit au moment même où la victime et son meurtrier se croisent) et le 7 juin. Nouveau problème : qu’en est-il du chef d’accusation indiquant qu’A aurait potentiellement été séquestré pendant sept jours (et donc n’aurait pas été tué avant le 12…) ? Je cite : "Avoir, entre le 4 et le 26 juin 2011, donné la mort à Alexandre Junca avec préméditation, avec des circonstances aggravantes d’actes de torture et de barbarie, et pour avoir enlevé, détenu et séquestré le 4 juin 2011 plus de sept jours le jeune homme en bande organisée".
Ensuite, le fameux problème chronologique dans les articles de presse : alors que ceux-ci indiquaient que le corps aurait été mis à l’eau entre le 5 et le 12 juin, les éléments de l’enquête indiquent que le largage a lieu au petit matin le 17 juin (repérage des téléphones au niveau de la rue Amédée Roussille vers 5h30). C’est-à-dire 48h après que la digue ait été érigée, et non avant, comme je l’indiquais dans mes derniers articles.
Selon l’une des versions donnée, le corps démembré aurait été déposé dans des sacs lestés par des galets… Un seul article fait mention de cette information qui n’est reprise nulle part ailleurs, et rentrerait en contradiction avec la découverte du fémur le 26 juin en aval.
Ce même 26 juin, Fatima E appelle le 17 et évoque le meurtre de A, et le fait qu’elle connaisse l’assassin. Appelant régulièrement le 17 et tenant des propos incohérents ou douteux, cet appel ne sera pas pris en compte et l’information ne remontera pas jusqu’aux services chargés de l’enquête, hélas.
Arrêtons-nous un instant sur le M.O. La cause de la mort est un coup porté au crâne avec un marteau, marteau du même type que celui qui sera utilisé par Mickaël B un mois plus tard, lorsqu’il agresse un SDF le 12 juillet 2011. Il paraît donc vraisemblable que Mickaël soit le meurtrier. Le rôle de Mike B et sa proximité avec Mickaël rend envisageable une implication directe, au moment même où A croise sa route et lorsque celui-ci est tué. Pendant un temps, Mickaël ira jusqu’à accuser Mike seul du meurtre (peu probable compte tenu du M.O. et de l’arme employée).
Intervient ensuite Claude D qui va notamment transporter le corps (mort de façon certaine, peut-être vivant également ?) dans sa voiture, une Peugeot 605. Le véhicule sera ensuite détruit avec d’énormes précautions, puisque Claude ira jusqu’à transposer les plaques d’immatriculation sur une voiture du même modèle afin de faire croire à un seul et même véhicule là où il y en a en réalité deux. Deux employés de la casse automobile où finira la voiture seront d’ailleurs brièvement placés en garde à vue.
Quoi qu’il en soit, en tant que chasseur régulier, Claude est selon toute logique le principal responsable du démembrement du corps. Il participe au transport de celui-ci et au largage dans le gave.
Lors des obsèques de A, un mot laissé sur le registre relie une nouvelle fois la bande à l’assassinat, il est signé "Mike le SDF" et indique "Celui qui t’as fait ça gît sous terre".
Deux inconnues : le rôle qu’a pu tenir Christian P, et celui de Fatima E qui ne semble pas selon les éléments révélés par la presse être intervenue directement mais, compte tenu de son appel du 26 juin, était clairement au courant de la culpabilité de son compagnon.
Retour aux hypothèses que j’avais émises.
Tout d’abord quant au lieu de largage, au niveau de la rue Amédée Roussille, le 17 juin vers 5h30. La date est connue grâce au repérage téléphonique ; Mickaël B et Claude D sont dans les environs, ils vont d’ailleurs éteindre leurs téléphones quelques instants.
Mais donc, contrairement à ce que les différents articles de presse m’avaient laissé penser, le largage a lieu après la mise en place de la digue. Les deux hommes (y a-t-il quelqu’un d’autre avec eux ? Christian, Mike, Fatima ?) descendent jusqu’au niveau du Gave, s’enfoncent partiellement dans l’eau et laisse le corps démembré (lesté ou non ?).
Mais selon les différents éléments, ce largage n’aurait pas lieu au niveau du lavoir comme je le croyais, mais derrière la digue (soit une vingtaine de mètres plus loin), au pied d’un arbre depuis scié disent-ils.
Voilà à quoi ressemblent les lieux alors que la digue est montée (merci à P pour la photo, juillet 2011, et les réflexions) :
Et voilà ce que cela donne quelques mois plus tard (Google ce coup-ci, daté de juillet 2012) :
Le largage a donc lieu plus en aval de ce que je croyais (erreur article 6), non pas depuis le lavoir (en orange), mais derrière la digue alors érigée (rouge), là où pointe la flèche. Au-delà, dans l’encadré sombre, l’emplacement où sera trouvé le fémur.
Toute la symbolique que j’ai supposée au niveau du lavoir est donc nulle.
Du côté des hypothèses quant à l’assassin, je me suis donc trompé en supposant qu’il s’agissait d’une seule personne. En focalisant sur les deux personnes vraisemblablement les plus impliquées, Mickaël B et Claude D, différents éléments s’avèrent néanmoins exacts :
- Le criminel est un homme qui habite Pau. Il a une certaine stabilité de vie, tout du moins des habitudes (ne serait-ce que par la présence des 4 autres personnes autour de lui et son rôle central autour des trois marginaux Fatima, Mike et Christian) mais pas d’emploi (erreur).
- Il semble qu’il possède un permis de conduire (la presse n’est pas tout à fait claire quant à ce point en ce qui concerne Mickaël), et la voiture joue un rôle essentiel dans l’affaire (ne serait-ce que pour le transport du corps).
- Il est sexuellement compétent, et relativement intelligent (emprise sur les trois autres au moins).
- C’est un familier des lieux autour de la rue Galos. Les Halles qui servent de point d’encrage pour nombre de SDF sont à côté, et la rue Solférino où habite Mike est à une centaine de mètres.
- Si ses agresseurs connaissent A de vue, ils ne sont pas intimes pour autant (je l’avais supposé compte tenu de l’absence de travail de deuil dans le largage du corps).
- Ma dernière estimation d’âge, revue à la baisse (24-40 ans) s’avère exacte.
- Contrairement à ce que je croyais, il n’est pas détenteur d’un Bac+2. Peut-être le coupable a-t-il néanmoins son Bac…?
- En ce qui concerne le démembrement (probablement Claude D donc), celui qui l’a fait n’exerce pas de profession en rapport. Son expérience dans le domaine vient de la chasse.
- Nouvelle erreur de ma part : je pensais qu’il vivait dans la localité depuis 4-5 ans, or il n’est à Pau que depuis 2 ans. Toutefois, un doute subsiste quant au choix du lieu de largage. Et si Claude D en était à l’origine, et non Mickaël B ?
- Et du même coup, erreur également quant au fait qu’il habiterait dans la zone au sud/sud-est de Pau ; Christian, Fatima, Mickaël et Mike sont dans le centre-ville et Claude habite au nord, à plus de 30 Km de là.
- Toutes mes estimations quant à la mise à l’eau du corps sont fausses. Elles s’appuient en effet sur l’idée que la digue est érigée après le largage, et non avant (information erronée de la presse).
J’en arrive ensuite aux derniers articles consacrés à l’affaire, où je tentais un angle d’approche psychologique au possible, utilisant en particulier les réflexions émises par Carl Gustav Jung et m’appuyant sur des symboliques mythologiques.
Et force est de constater qu’un grand nombre d’hypothèses sont confirmées :
- Pas d’acte sexuel sur la victime.
- Défaut maternel (et parental pour le coup) dans la vie du criminel.
- Manque de promiscuité avec une femme au moment des faits (confirmé par des hauts et des bas dans les rapports entre Fatima et Mickaël) et tendance homosexuelle partielle (confirmé par les rapports avec Claude D, et plus que tout le fait que Fatima l’ignorait).
- Besoin criminel pour ré-équilibrer sa sexualité.
- Personnalité du criminel plus stable que dans les affaires de Pornic, Tournon ou Chambon (influence probable de Claude D sur cet élément, outre l’aspect manipulateur de Mickaël B).
Affaire classée.
SOURCES : La République des Pyrénées, Le Monde, Le Parisien, Libération, Sud Ouest.