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Ode à la Bête (2)

Publié le 30 avril 2008 par Cameron

   Et c’est bel et bien grâce à son monstre qu' Alien peut prétendre, me semble-t-il, au titre de chef-d’œuvre du genre fantastique. Car en dehors de ses qualités cinématographiques réelles, de sa construction parfaite et de son art du hors-champ, le film a surtout permis l’éclosion à l’écran de la première créature totalement originale mise en scène par ce médium. En d’autres termes, l’Alien de Ridley Scott apparaît  conçu par et pour le cinéma, sans background référentiel, sui generis pourrait-on dire. Un seul film suffit à lui donner non seulement une apparence (encore que cette apparence reste très largement dans l’ombre, contrairement au souvenir que nous en avons), mais aussi toute une histoire, ce qui nous permet de le croire réel. A mes yeux, Alien n’est  peut-être pas tout à fait le film de terreur que son synopsis nous vend. Bien plus intéressante est la manière dont est construite l’intrigue, et cette intrigue est le récit de l’enfantement du monstre. De l’œuf à l’âge adulte, littéralement. Le développement de l’alien passe par différents stades bien marqués, qui sont les seuls ressorts de l’action en huit-clos.  Tout tourne autour de la prochaine forme qu’il prendra, alors même que jamais nous ne voyons vraiment à l’écran celle qu’il a au moment où les humains l’affrontent. Il est définitivement autre, définitivement terrifiant. Et il est magnifique dans son accomplissement.

   L’alien a été créé par l’artiste suisse H. R. Giger, dont l’une des spécificités est le mélange du mécanique et du biologique, les deux si intiment entrecroisés que le malaise du spectateur ne peut plus s’appuyer sur rien de vraiment perceptible. Indéniablement, ce que nous montre Giger est différent, mais sa fascination pour le squelette, les os et autres structures aisément reconnaissables nous empêche de refuser totalement une parenté avec les créatures représentées. Son alien est à la fois extraordinairement physique, issu de notre propre chair, et tissé de caractéristiques insectoïdes  qui nous font pénétrer au cœur de nos plus profonds cauchemars, ceux où l’intégrité physique humaine volerait en éclats. Il est donc, viscéralement, question de corps, de pénétration, de violation et de transformation dans la manière dont H.R. Giger représente l’étranger absolu qu’est l’alien. Matière en constante modification, créature intelligente qui semble vouloir un peu plus que la simple destruction de l’adversaire, qui semble en fait vouloir son assimilation totale, l’alien est la matérialisation de peurs ancestrales qui font de lui l’idéale monstruosité. Et qui lui donnent, je pèse mes mots, sa beauté inattendue. En tant qu’autre, en tant qu’étranger, l’alien symbolise bien le pire de nos craintes, car il est d’abord celui qui abolit toute notion de frontière, et il le fait par le biais du corps.

Voici d’où vient l’alien, sachant que le premier film n’aborde pas la question de savoir d’où sont issus les œufs eux-mêmes. Nous l’apprendrons dans la suite réalisée par James Cameron.

Et voici ce qui sort de l’œuf pour sauter (littéralement) au visage de Kane.

  

En anglais, cette… chose arachnéenne est appelée Face hugger, je ne pense pas qu’on puisse trouver mieux. Le Face hugger est une parfaite machine biologique dont la seule fonction semble être de pondre. Et de résister à toute attaque extérieure, grâce à une charmante caractéristique : en guise de sang, le Face hugger charrie de l’acide. Ce qui sera aussi le cas de la créature qu’il est en train de pondre dans le corps de Kane.

Enfin, voici l’alien devenu grand, avec son long crâne phallique et luisant. Je vous épargne la double mâchoire et le reste de son corps.


   C’est bel et bien cette créature qui fait d’Alien, le 8ème passager, quelque chose d’entièrement nouveau au cinéma. Et le plus fascinant est sans doute que la généalogie de ce monstre d’exception, sans équivalent dans le 7ème art, sera ensuite déclinée avec une parfaite cohérence par trois réalisateurs aussi différents que James Cameron (Aliens), David Fincher (Alien3) et Jean-Pierre Jeunet (Alien : Resurrection). Nous y apprendrons l’origine des œufs, nous y apprendrons aussi que la forme adulte de l’alien est étroitement liée à celle de son hôte et que s’il semble humanoïde, c’est grâce à nous (brr…), et nous découvrirons toute l ‘étendue de son intelligence perverse. Le dernier film (à ce stade) boucle la boucle en accordant à l’alien des caractéristiques humaines tout en faisant de Ripley, seule véritable survivante de la confrontation sans cesse renouvelée, un hybride tenant tout autant du monstre que de l’héroïne. Il faudrait, pour être complet, aborder aussi la place très importante tenue par les androïdes dans la quadrilogie, ainsi que la critique sociale inattendue dans ce genre de films et présente sous une forme ou une autre dans chaque volet. Mais ce serait m’éloigner de mon propos, qui était avant tout de souligner l’unicité d’Alien en tant que générateur d’un mythe  purement cinématographique.


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