À propos de Left Foot Right Foot, premier long métrage du cinéaste lausannois en concours au Festival de Montréal.
L'émotion est très vive à la fin de la projection du premier long métrage de Germinal Roaux, qui nous laisse le coeur étreint comme par un étau, au bord des larmes. Rien pourtant de sentimentalement complaisant dans cette fin dure et douce à la fois, ouverte et cependant plombée par l'incertitude.
Cette incertitude est d'ailleurs la composante majeure de Left Foot Right Foot, admirable poème du vacillement d'un âge à l'autre: de l'adolescence prolongée à ce qu'on dit la vie adulte.
La fin déchirante, à la fois cruelle et tendre, du film de Germinal Roaux, rappelle la dernière séquence, pas moins poignante, de L'Enfant des frères Dardenne; et la comparaison pourrait s'étendre aux jeunes protagonistes des deux films, également démunis devant la réalité et presque "sans langage". Mais l'écriture personnelle de Germinal Roaux est tout autre que celle des frères: sa pureté radicale, accentuée par le choix du noir et blanc, évoque plutôt celle des premiers films de Pasolini (tel Ragazzi di vita) ou d'un Philippe Garrel (dans Les amants réguliers), notamment.
Le canevas de Left Foot Right Foot est tout simple. Marie et Vincent, autour des dix-huit ans, vivent ensemble sans entourage familial rassurant ni formation sûre. Leur milieu est celui de la jeunesse urbaine actuelle, entre emplois précaires et soirées rythmées par le rock.
Fuyant un premier job débile, Marie en accepte un autre plus flatteur et plus glauque d'hôtesse dans une boîte, qui l'amène bientôt au bord de la prostitution. Cela d'abord à l'insu de Vincent, trafiquant un peu dans son coin avant de se faire virer de la boîte de conditionnement alimentaire où il a eu l'imprudence un jour de se pointer avec son frère handicapé aux conduites imprévisibles.
Il y aurait beaucoup à dire de ce film d'extrême porosité sensible, qui dit par les images et les visages beaucoup plus que par les mots. D'une totale justesse quant à l'observation sociale et psychologique d'une réalité et d'un milieu souvent réduits à des clichés édulcorés par le "djeunisme", Left Foot Right Foot se dégage de ceux-ci par les nuances et détails d'une interprétation de premier ordre. Marie (Agathe Schlenker) est ainsi crédible de part en part dans son rôle de fille mal aimée (la mère n'apparaît que pour la jeter de chez elle), à la fois bien disposée et un peu gourde, attirée par ce qui brille mais hésitant à céder au viveur cynique impatient de la pervertir. Quant à Nahuel Perez Biscayart, jeune comédien déjà chevronné et internationalement reconnu, il se coule magnifiquement dans le rôle de Vincent, sans jamais surjouer, avec une intelligence expressive et une délicatesse sans faille.
À relever aussi, sous l'aspect éthique du film, sa façon de déjouer toute démagogie et toute exaltation factice de la culture "djeune" dont il est pourtant tissé. Tels sont les faits, semble nous dire Germinal Roaux, telle est la vie de ces personnages dansant parfois sur la corde raide (ou nageant dans la piscine où les deux frères évoluent ensemble sous l'eau, comme dans la scène mémorable des Coeurs verts d'Edouard Luntz) et se cherchant une voie, parfois avec l'aide d'un ami ou d'un aîné - le geste de l'ingénieur donnant sa chance à Vincent qu'il emmène en montagne...
Formellement enfin, je l'ai dit, Left Foot Right Foot est un poème. Sans aucun lyrisme voyant, mais porté par le chant des images et la mélodie des plans. Il en découle une sorte de catharsis propre au grand art, sur le chemin duquel Germinal Roaux est très sérieusement engagé. Bref, on sort de ce film comme purifié, la reconnaissance au coeur.