C'était grandiose ! Quoi donc ? Le concert d'AaRON pardis ! AaRON ? Tu ne connais pas AaRON ? Ah... J'oubliais que tu étais d'une autre génération, pardonne-moi ! AaRON, c'est Simon Buret et Olivier Coursier. Aaron c'est le vague à l'âme saupoudré de poussière d'or (ou de poussière d'ange, tiens, comme l'un de leurs titres). Aaron, ce sont des textes en anglais sur un album atypique, dont le titre reflète l'originalité : Artificial Animals Riding On Neverland. Tiens, c'est drôle... Les initiales donnent le nom du groupe ! C'est fait exprès, mon Totor !
C'était la première fois que j'assistais à un spectacle dans une (relativement) petite salle. Je n'avais jusqu'ici connu que les Zénith et autres mastocs du spectacle. Et crois-moi, cela change tout. D'accord, j'étais debout, comme les 1800 spectateurs. D'accord, je crevais de chaud. D'accord, j'ai fait la queue pendant une heure avant d'entrer. D'accord, à la fin du concert, j'avais les genoux bousillés, des fourmis dans les mains et la gorge sèche. D'accord. Mais j'avais aussi le coeur qui bat et le sentiment inexplicable d'avoir eu face à moi un groupe qui me comprend. Cela peut paraître stupide, surtout dit comme ça... Si je dis que j'étais en larmes dès le premier morceau (ma préférée de l'album, "Le Tunnel d'Or", seule chanson en français dont il aurait été dommage de nous priver), on pourrait penser : "Mon Dieu, ce groupe doit être à se tirer une balle" ou au choix "Les textes doivent être d'une sensiblerie à toute épreuve". Eh bien non. Pas du tout.
Leurs textes sont sensibles, c'est vrai. Mais c'est une sensibilité à fleur de peau. Et qui ne se suffit jamais à elle-même. C'est une sensiblité qui finit toujours par panser les blessures, comme une berceuse : "Don't worry / Life is easy", comme le chante Simon dans la chanson "Little love", reprise en coeur par le public, avec une magie quasiment religieuse. En chantant ces deux vers, à l'unisson avec tous ces inconnus, j'y croyais presque. C'est comme s'ils me prenaient sous leur aile, écoutaient mes maux et m'aidaient à les apaiser. Et à me dire que la vie vaut la peine, dans le fond. Qu'il existe des moments comme ceux d'hier soir, où la musique est tantôt l'expression d'un mal-être et tantôt celle de l'impétuosité de la vie. Ainsi, après avoir essuyé une larme sur "U-Turn" (pourtant matraquée par les radios... Mais il semblerait qu'une chanson, quand elle est bonne, quand elle est vraie, émeut toujours avec la même intensité, quelle que soit sa diffusion), je me suis retrouvée à sauter comme un ressort, à hurler à m'en péter la voix sur "Endless Song" et "Blow". Je me suis tue pour ressentir au maximum "Mister K", avant dernier rappel, morceau terrible où les poissons rouges sont de meilleurs amis que les hommes (non, ce n'est pas du Brigitte Bardot), instant de pureté incroyable, guitare-voix. J'ai ri aux mots d'humour de Simon Buret (ah, les micros avec fil, ça me rappelle des choses...). Au fond... J'ai été heureuse, pendant environ 1 h 30. Et il n'y a que la musique pour me faire cet effet-là.
Le plus magnifique, dans tout ça, c'est que le plaisir était partagé, vraiment. Ce n'était pas comme toutes ces stars archi-blasées, pour qui être en contact avec le public rime avec les mêmes mimiques, les mêmes sourires, les mêmes mots, les mêmes silences calculés. En somme, une mécanique bien huilée. Je ne pense pas faire preuve de naïveté en affirmant que ce n'est pas le cas avec Aaron. Si je me suis éclatée, eux aussi. Aussi bien Olivier Coursier que Simont Buret, que la sublime violoncelliste (Maëva, non pas que je la connaisse personnellement mais j'ai oublié son nom de famille) et la pétillante batteuse (même problème de patronyme, navrée). J'étais plutôt bien placée pendant ce concert. J'ai ainsi pu observer à loisir les expressions des uns et des autres sur la scène. J'ai vu Olivier Coursier rire à gorge déployée à son piano, et Maëva échanger des sourires de connivence avec le public. J'ai vu Simont Buret suer à grosses gouttes, et je l'ai entendu incapable d'aligner deux mots, tout essoufflé qu'il était. Il faut dire qu'il se dépense sans compter... Il saute, court, balance le micro dans tous les sens, nous offre une danse très personnelle, et finit, épuisé mais ravi, en nous disant : "Ca fait du bien de faire du bordel une fois de temps en temps non ?". Je suis bien d'accord. Et j'avais oublié combien c'est agréable... Et gratuit. Ca fait du bien, les choses gratuites.
Et puis il y a eu le moment où il a murmuré, après que nous ayons tous chanté "U-Turn Lili": "Je voulais vous dire que... Enfin... Ca fait toujours bizarre de... Enfin on écrit des choses qu'on est persuadé être le seul à ressentir... J'imagine que c'est la même chose dans toute forme d'art... Et puis voilà... Un soir comme celui-là, on s'aperçoit qu'on est pas le seul et que plein de gens chantent vos mots... Et... Ben merci...". J'aurais pu lui retourner le compliment... Lui dire qu'avec des mots simples et universels, il avait su mettre le doigt sur mon mal-être, aussi bien que sur mes instants d'espoir. C'est ça, toute la magie de la musique. Enfin. De la bonne, hein... C'est de sortir d'un concert épuisé et heureux, avec les genoux éclatés, la gorge sèche. C'est de crever de chaud, d'avoir des fourmis dans les mains. Et de se dire qu'on a vécu ce soir quelque chose d'exceptionnel, de magique, que l'on n'oubliera pas de sitôt. Don't worry, life is easy...