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Boulots de cons (II)

Publié le 17 septembre 2013 par Nicolas Esse @nicolasesse

David Graeber est professeur d’anthropologie à la London School of Economics. Son livre le plus récent , The Democracy Project: A History, a Crisis, a Movement a été publié chez Spiegel & Grau

L’automatisation aurait dû entraîner une réduction massive du temps de travail et offrir à la population active la possibilité de poursuivre ses projets personnels, ses idées, ses rêves ou de simplement se faire plaisir. En réalité, ce vide a été comblé par une inflation du secteur des services et surtout par une véritable explosion des tâches administratives incluant la création de nouvelles industries telles que les services financiers ou le télémarketing. Ce phénomène a également entraîné le développement démesuré de secteurs d’activités qui vont du droit des affaires au monde universitaire en passant par l’administration de la santé, les ressources humaines et les relations publiques. Il faut noter que ces chiffres ne prennent pas en compte toutes les personnes dont le travail consiste à fournir un support administratif à ces secteurs d’activités, sans parler du développement de toute une série de sous-industries (toiletteurs de chiens, livreurs de pizza 24h/24…) qui existent seulement parce tous ces travailleurs passent la plus grande partie de leur vie à remplir des fonctions dont l’utilité reste à démontrer.

Ce sont toutes ces fonctions inutiles que je me proposer d’appeler "boulots de cons."

On dirait qu’il existe quelqu’un, quelque part, dont la seule mission serait d’inventer des boulots inutiles, juste pour continuer à tous nous occuper  à plein temps. Et c’est précisément là où réside le mystère : dans un système capitaliste, cela ne devrait jamais arriver. Pour état vieillissant et inefficace du type de l’ex-Union soviétique, l’emploi était considéré comme un droit et un devoir sacré. Par conséquent, le système générait les emplois nécessaires à l’occupation de tous. C’est pourquoi, dans les magasins, il fallait trois employés pour vendre une tranche de viande. Typiquement, c’est le genre de problème que la compétition entre les entreprises est sensée régler. La théorie économique explique clairement qu’une entreprise basée sur le profit doit éviter absolument de gaspiller de l’argent pour payer des travailleurs redondants. Et pourtant, d’une certaine manière, c’est ce qui se passe dans la réalité.

Si on observe les entreprises qui s’engagent dans des programmes drastiques de dégraissage, on constate que les licenciements et les départs anticipés touchent invariablement les personnes qui produisent, déplacent, réparent et entretiennent les choses. Par un tour de passe-passe étrange et inexplicable, le nombre de gratte-papiers est en constante augmentation et de plus en plus d’employés se retrouvent dans une situation similaire à celle de leurs collègues de l’ex-URSS, effectuant sur le papier 40 voire 50 heures de travail hebdomadaire, mais en réalité 15 heures de travail effectif, ainsi que Keynes l’avait justement prédit. Seulement, ils passent le reste de leur temps de travail à organiser ou à participer à des séminaires de motivation, à mettre à jour leur profil Facebook, ou à télécharger des coffrets de séries télévisées.

Traduit de l’anglais, Bullshit jobs. 17 août 2013



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