Geneviève Calame-Griaule, ethnolinguiste spécialiste des contes africains et des Dogon est décédée à Paris, le 23 août 2013. Elle avait 89 ans.
Fille du célèbre ethnologue Marcel Griaule, elle avait baigné depuis toute petite dans la culture et la société dogon. Son père a été un très grand spécialiste de la culture dogon, effectuant des recherche de tout premier plan notamment sur le panthéon dogon. C'est lui qui a été le chef d'expédition de la mission Dakar - Djibouti que narre Michel Leiris dans L'Afrique fantôme. Pour certaines remarques qui figurent dans ce livre, Griaule et Leiris se fâchèrent... Griaule a été le premier - et l'un des seuls - Occidental à bénéficier de funérailles traditionnelles dogon, qui ont rassemblé en 1956 des centaines de personnes. On comprend, dans ces conditions, que sa fille n'ait pu rester exempte de toute influence...
Après des études de langues classiques et d’arabe, elle obtient une agrégation de grammaire et entre au CNRS. Elle aussi affectionne le terrain. Pour se démarquer de cette grande ombre paternelle, elle se spécialise dans la littérature orale et les pratiques langagières des Dogon. Entre 1967 et 1978, elle élargit son champ de recherche aux Touaregs et aux Isawaghen du Niger.
Geneviève Calame-Griaule a enseigné à l'Institut des langues orientales, elle a aussi dirigé de nombreux colloques, séminaires, conférences, expositions et autres publications. Son objectif a toujours été de disséminer au maximum le résultat de ses recherches et les découvertes des uns et des autres, sur fond de culture et d'histoire. C'est à l'occasion d'une exposition sur les objets récoltés entre 1931 et 1933 par la fameuse mission Dakar-Djibouti, que je l'ai rencontrée pour une interview. Elle m'a invité chez elle, dans son grand appartement de la rue Gay-Lussac. C'était un endroit à la fois simple et magique, notamment par tout ce qu'il contenait comme souvenirs de ses différents voyages. La plupart n'avaient pas de valeur, si ce n'est celle qui en faisaient tout l'intérêt : l'histoire - réelle ou contée - qui leur était attachée. C'est à se moment-là que s'opérait une petite magie : cette dame charmante, avenante et toujours en éveil se transformait en une extraordinaire conteuse. Son regard se faisait brillant et elle avait l'art d'emporter son interlocutrice sur des chemins inconnus, rythmés de tambours imaginaires et peuplés de personnages hauts en couleur. Je suis retournée plusieurs fois chez Geneviève Calame-Griaule, toujours avec beaucoup de bonheur. Le thé y avait un goût particulier, celui des voyages et des souvenirs. Je me souviens m'être rendue compte un jour, dans l'ascenseur qui montait chez elle, à quel point j'avais envie de lui dire : "Dis, raconte-moi une histoire"... Ce qu'elle ne manquait d'ailleurs jamais de faire car elle connaissait mille et une anecdotes africaines dont elle usait pour illustrer ses propos.
J'ai appris sa mort par un article dans Le Monde. J'en ai été fort triste. Encore un peu de magie qui s'en va. Heureusement, il nous reste ce qu'elle nous a transmis. Oralement, comme il se doit !