À propos d'Adolf Wölfli, aliéné artiste.
"Le génie est un mélange de sagesse et de folie", écrivait Ramon Gomez de La Serna. Ce qui pourrait nous faire penser qu'Adolf Wölfli n'était pas tout à fait un génie, en cela que l'équilibre médiateur lui faisait défaut. De fait, jamais il ne nous parlera autant qu'un Rembrandt ou un Van Gogh. Du moins le Dr W. Morgenthaler, le psychiatre qui consacra la première étude de son "cas", sous le titre d'Un aliéné artiste, propose-il une appréciation des plus crédibles de sa situation par rapport à ce qu'on appelle l'art ou à la catégorie particulière de l'art brut selon Jean Dubuffet: "Plus l'expérience de l'artiste est profonde, écrit-il, plus la forme est pure, liée à une unité organique, et plus l'oeuvre d'art est grande (...) Ainsi, chez Wölfli, grâce au processus de la maladie, l'unité de la personnalité connut une sorte d'explosion et fut en partie détruite. Mais c'est justement grâce à cela, grâce à ce relâchement et à cette dispersion des couches supérieures, qu'une magnifique structure fut mise en évidence avec une étonnante clarté".
Mais qui est cet extraordinaire "aliéné artiste" ?
Ces renseignements, nous les tenons de Wölfli lui-même, dont l'autobiographie connaît cependant plusieurs variantes. Au demeurant, Wölfli prétendra avoir "radicalement tout oublié" dès l'âge de huit ans précisément. Ce qui semble est sûr, c'est qu'un échec sentimental, à l'âge de dix-huit ans, le pousse à refouler ses pulsions redoutables, qui se reporteront par la suite sur des adolescentes de plus en plus jeunes, comme s'il régressait lui-même en âge au fil des années. Brièvement fiancé à une prostituée, puis amant d'une veuve, il passa ensuite de déboires en déboires qui l'amenèrent d'abord en prison puis, en 1895, à l'asile psychiatrique de la Waldau où il resta jusqu'à sa mort en 1930.
Ce qui frappe avant tout, à l'approche de ce fascinant univers formel, c'est, comme l'a souligné le Dr Morgenthaler, sa surprenante cohésion organique. Le même spécialiste, dans sa passionnante étude, a éclairé les rapports liant l'oeuvre de Wölfli à la psychologie, la psychopathologie, les mythes, l'art primitif et, faut-il ajouter: l'art populaire, auquel l'artiste se réfère si explicitement qu'il semble aberrant de parler de lui comme d'un créateur extra-culturel comme s'y obstinent certaines doctrinaires de l'art brut.
Tout cela qui ne rabaisse en rien, cela va sans dire, la force expressive et la merveilleuse imagination plastique de ce forcené visionnaire qui, raconte-t-on, coupait volontiers court à tout entretien en lançant à son interlocuteur: "Jesus Gott, ch'muss'schaffe", de Dieu, faut que je créé !