Titre: La Tirlogie Nikopol
Auteur: Enki Bilal
Editeur: Les Humanoides Associés
Année: 1995
Résumé:
Paris 2023. Les Dieu Égyptiens sont
bloqués au-dessus de la capitale dans leur pyramide volante, faute
de... carburant.
Un condamné à la congélation de
1993, Alcide Nikopol, se retrouve sauvé d'une mort quasi-certaine
par un Dieu errant, Horus, dont le but est la vengeance. Nikopol se
retrouve avec une jambe d'acier, qu'il ne peut supporter et doit
accepter de se faire posséder par Horus pour parvenir ne fut-ce qu'à
marcher. Le dieu égyptien, lui, a besoin d'un corps humain pour son
étrange plan: prendre possession de Paris...
Ce résumé pose les bases du premier
volet de la trilogie, La Foire aux Immortels. Je ne vous en
dévoilerai pas plus pour vous garder la surprise de cet univers
étrange, où les Dieux côtoient les humains, où les robots se
plaignent de la solitude et où Nikopol se démarque de ses pairs
par son aptitude incroyable à réciter du Baudelaire par cœur.
Le deuxième tome dévoile l'arrivée
sensuelle et charismatique de Jill bioskop, qui donne son titre à cette nouvelle aventure: la
Femme Piège.
Deux solitudes qui se rencontrent dans
un monde à la dérive.
Le troisième tome apporte le
dénouement tant attendu mais surtout inattendu, de cette
mystérieuse trilogie.
Tout au long de cette trilogie, le seul
personnage qui a un objectif et qui est moteur de la narration est
Horus. Dieu égoïste, amoral, aventureux, il possède Nikopol pour
assouvir sa vengeance, réfute l'ordre divin de ses pairs, sème le
chaos sur terre, avec ou sans son avatar humain.
Les autres personnages que l'on croise,
Alcide Nikopol, Nikopol Fils, Jill, errent plus comme des fantômes ayant
perdu une partie de leur âme, perdus dans un monde qu'ils ne
comprennent plus, au mieux qu'ils refusent.
A travers cette vaste terre, ils vont
prendre chacun leur chemin, se croiser, se détester, s'aimer,
s'oublier, se retrouver.
Bilal réussit un tour de force: Nous
permettre de nous identifier à ces personnages, en recherche de
quelque chose de non identifié.
La lecture des déboires de Nikopol
oscille sans cesse entre le comique et le dramatique, entre l'absurde
de ce monde bien réel pour les personnages mais si incompréhensible
pour nous et la réalité des émotions, des désirs, des rêves de
ces héros si anti-héros.
A mes yeux, la magie qui se dégage de
cette histoire consiste à réussir à me donner envie de la lire
sans m'arrêter, tout en cassant certains crédo de la dramaturgie.
Les obstacles sont minimes, qui peut prétendre arrêter un Dieu ? La
mort frappe aveuglément, pour voir parfois ses effets annulés ! La
mémoire, les souvenirs s'effacent et s'oublient, offrant la
possibilité non plus d'une deuxième chance, mais vraiment d'une
deuxième vie. Malgré tous ces impossibles rendus possibles, malgré
cette errance désordonnée derrière ses buts apparents, je suis happé, je navigue de surprise en surprise dans ce monde de
2023...
Et les dessins y sont aussi pour
beaucoup. Le style de Bilal, ces décors lourds et fracturés, ces
visages ronds, expressifs et parfois si totalement vides d'émotions,
ces couleurs sombres même quand elles sont lumineuses et cette
rouille sanguine omniprésente, marque d'un délabrement qui avance dans
le sens de ces personnages, de cette société, de ce monde.
Le cadrage sort un peu du classicisme.
Les cases de Bilal sont plutôt grandes et chaque tome comporte peu
de petites cases. Longues ou larges, spacieuses mais toujours
étroites, petites parfois, elles portent l'histoire, la renforcent.
Le cadre de Bilal se fait vite oublier, pour ne laisser place qu'à
l'histoire. Le dessin a parfois ce relief, cette densité qui déborde
de la case, non pas en vrai, mais plus en volume, donnant une
dimension profonde, une perspective de vie, à laquelle l'auteur des
garde bien d'y insuffler ce souffle qui manque, créant ainsi cette
impression bancale, cette sensation de creux, ce sentiment
d'absence...
Anthologie d'anticipation, rêve
traversé, monde gothique, non pas dans le look qu'on rattache à cet
univers comme ses couleurs noires et rouges mais dans son esprit,
dans cette noirceur inapparente, sous-entendue et tellement forte,
la trilogie Nikopol constitue non plus un classique, mais une ombre
dans le monde de la BD. Une ombre qui vous éclairera, jusqu'à vous
donner le tournis et vous aveugler.
Bilal va passer le cap de la mise en
film en reprenant ses personnages dans le long métrage Immortel ad
vitam. Contre toute attente, il ne transpose pas l'histoire, il la
remanie. Nous ne sommes plus en 2023 mais en 2095. Jill, Horus et
Nikopol sont toujours là, merveilleusement incarnés à l'écran
respectivement par Linda Hardy, Thomas Pollard et Thomas Kretschmann
mais ils ne vivent plus l'histoire de la Trilogie, il s'agit d'un
autre récit avec les mêmes personnages. Sensation étrange.
A mon avis, il ne manque qu'une petite
chose à Immortel pour être un film magnifique: Cette errance, cette
sensation de ce perdre en oubliant qu'on ne se retrouvera peut-être
jamais, que Bilal a su créer dans la BD. A quoi cela peut-il être
dû ? La durée fixée d'un film, le besoin de se rapprocher d'une
dramaturgie plus classique pour pouvoir atteindre un public plus
large. Un tel film, dont les effets spéciaux sont bien réussis,
coûte un certain prix, qui ne peut être amorti que par la foule qui
va venir le voir.
Pour moi, cette vision au cinéma a été
une grande surprise. J'avais eu deux places pour une projection
mystère chez UGC. « Vous venez avec un/une ami/e, vous ne
savez pas le film que vous allez voir, un questionnaire vous sera
remis à la fin. »
Je n'avais pas suivi les plannings de
sortie et j'étais allé avec une amie, donc (conforme à ce qu'on me
demande), sans savoir ce que j'allais voir. Dans la queue, je lui ai lancé que j'aimerais bien que le film de ce soir soit Immortel, le nouveau Bilal. Et
j'ai été exaucé !
Angoissé à l'idée d'être déçu,
j'ai assisté à la projection avec plaisir. J'ai eu seulement un
sentiment de manque à la fin. Oui, il me manquait quelque chose,
d'impalpable, d'immatériel. Ce quelque chose que j'ai essayé
d'identifier dans cet article.
Évidemment, chez moi, j'ai récupéré la BD et le
DVD ! J'aime le choix de Bilal non pas d'adapter sa trilogie, mais
de la transposer, de nous offrir une nouvelle aventure, celle qui
aurait pu se dérouler si nos héros auraient vécu soixante-dix ans
plus tard. Malheureusement le film joue parfois sur des ressorts qui ne
fonctionnent pas. Je ne peux s'inquiéter pour nos héros, vu qu'ils
sont aidé par un Dieu, la tension du scénario ne peut donc jouer
là-dessus. C'est aussi cela qui pêche pour moi.
Je ne me plaindrai pas plus, car un de
mes regrets sur le cinéma français est le trop peu de films
d'anticipation et de SF. Ce n'est pas notre culture,
entends-je souvent ! Moi, c'est la mienne et je suis heureux quand
des réalisateurs comme Bilal ose franchir ce pas pour m'offrir des
films comme Immortel.
Je précise que d'autres aussi ont tenté le coup, dans des styles différents, je pourrais citer à
titre d'exemple Chrysalis, Dante 01, Peut-être, Eden Log,
Renaissance, la Cité des enfants perdus, Furia, Le cinquième
élément et j'en oublie ! Il n'y en a pas assez à
mon goût.
En attendant que tout cela se
chamboule, n'hésitez pas à voyager dans la trilogie Nikopol, à
plonger dans Immortel ad vitam et à partager votre avis !
David