Initiation
Soudain, on me cède une chaise. On s’inquiète de ma santé, de mon alimentation, de mon sommeil. On jette un coup d’œil qui se veut discret sur mon ventre. On me partage des expériences d’accouchement terrifiantes (« Ma femme a accouché dans une baignoire géante sans péridurale », sur le ton banal et tranquille du père) et de grands moments d’émotion parentale (« Je me souviens quand j’ai pris pour la première fois ce petit être dans mes bras », les yeux brillants et la voix tremblante d’émotion, trente-cinq ans après). On me pose des questions sur mes souhaits (« Garçon ou fille ? », « Allaitement ou biberon ? », « Et le prénom ? ») pour mieux parler de ce qu’on a souhaité pour soi-même, avant de conclure d’un encouragement complice, « Enfin tu feras bien comme tu voudras, c’est le tien après tout ». On fait des prédictions : à la vénézuélienne, j’attends une fille car je me suis assise sur la cuillère plutôt que sur le couteau ; à la forme pointue du ventre, c’est un garçon ; il existe aussi la technique du pendule, « mais elle ne marche que pour les vaches », parait-il. Je vis une véritable initiation. Elle comporte ses rites modernes, instaurés et régis par le monde médical et son cortège de dépistages abstraits, tour à tour inquiétants et rassurants. Pour les traditions ancestrales, c’est l’expérience de chacun révélée comme le dévoilement d’un mystère, m’admettant comme nouveau membre d’une communauté qui jusque là m’ignorait. Quelque chose a changé. Ou plutôt, c’est moi qui change. Je change de génération. J’entre petit à petit, à mesure que mon ventre s’arrondit, dans le monde mystérieux des parents, moi qui n’étais jusqu’ici que l’enfant des miens.
Stéphanie Gernet
Jeu de briques
Snake
Pacman
Bubble