Le saviez-vous ? Le grand requin blanc est capable de détecter une goutte de sang parmi des millions de litres d’eau. Une caractéristique qu’il partage avec le patron de presse, chez qui l’odeur de l’hémoglobine au sein de la société civile déclenche à peu près les mêmes effets. Ainsi est-il aisé d’anticiper l’ouverture des JT et les unes des journaux au lendemain d’un fait divers sordide. La déontologie laisse place à l’instinct. La réflexion cède face à l’habitude. L’éthique ne remplace pas les tics.
Sans surprise, ce fut donc le cas pour la désormais célèbre « affaire Fiona ». Une disparition, des aveux tardifs, le meurtre d’une petite fille. Il n’en fallait pas davantage pour exciter la sphère médiatique. Donc l’opinion publique. Les vieux démons des défenseurs de la peine de mort n’étant jamais suffisamment assoupis, certains proposent même toujours d’autoalimenter le processus en rajoutant du sang au sang.
Pourtant, la capacité de cruauté de l’espèce humaine n’est plus à prouver et cette histoire, aussi triste et abjecte soit-elle, n’est malheureusement qu’une parmi tant d’autres du même genre. Et il y a fort à parier que le fonctionnement de l’économie mondiale impacte plus directement et plus concrètement la vie quotidienne du citoyen français lambda qu’un assassinat d’enfant dans la région de Clermont-Ferrand.
Une ligne éditoriale porte toujours en elle une certaine idéologie. Lorsque Jean-Pierre Pernaut choisit de consacrer dix minutes de son journal télévisé aux témoignages de l’entourage de Fiona plutôt qu’aux dernières malversations de Goldman Sachs, son choix n’est pas anodin. De même lorsqu’il délaisse l’affaire Karachi pour s’intéresser à la cueillette des châtaignes. L’occasion de déplorer que le droit à l’information ne soit pas plutôt un devoir.
Soumis au dictat de la rentabilité, grande est la tentation pour certains journalistes de délaisser la raison pour seulement laisser place à l’émotion. Plus immédiate. Plus efficace pour capter l’attention de l’auditoire et la conserver jusqu’à la prochaine page de publicité. Ainsi confondent-ils journalisme et voyeurisme. Ainsi optimisent-ils leurs intérêts et ceux de leur employeur. À mi-chemin entre chien de garde et hyène.
La réelle blessure de notre société n’est pourtant pas le fait d’individus isolés et psychologiquement instables. Le danger ne vient pas tant de meurtriers frénétiques que d’organisations qui saignent à blanc des peuples entiers dans le silence poli des rédactions feutrées. Et il serait temps, comme le disait le grand reporter Albert Londres, de « porter la plume dans la plaie ».
Guillaume Meurice
30/09/2013