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Ceux qui se regardent sans se parler

Publié le 02 octobre 2013 par Jlk

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Celui qui pianote sur les côtes de la violoniste muette / Celle qui est jalouse de ton silence / Ceux qui sourient à la danseuse en surpoids / Celui qui n'a jamais levé aucune grue / Celle qui ne sortira de chez elle (dit-elle) que par la porte-bonheur / Ceux qui ont dérobé le toupinard de Madame Cléo / Celui qui se prend la proue en pleine poire / Celle qui se payerait toute la tête de gondole pour que Venise lui soit contée / Ceux qui confondent les mètres de toile et les toiles de maîtres / Celui qui est Basque quand d'autres ne sont que bérets /  Celle qui fait le vide autour de celui qui remplit les creux / Ceux qui ne t'auront pas au jeu de qui perd crache /  Celui qui a en lui la monotonie du rythme arabe non sans sursauts latinos / Celle qui donnerait tout Picasso pour un sous-bois assorti à ses rideaux / Ceux qui aiment Paris en juillet au motif qu'on l'a tout à soi / Celui qui peint à façon comme une piqueuse de bottines / Celle qui rougit quand elle voit deux brosses se faire reluire /Ceux qui passent de l'âge bête à l'âge bestial / Celui qui s'est chassé de bonne heure et de bonne humeur du giron familial / Celle qui dit à tout moment "c'est la vie " avec l'air de penser le contraire /Ceux qui déconseillent Chicago aux liftiers pygmées / Celui qui ne sait pas si le temps vient à lui ou s'il le quitte / Celle qui se laisse aller au temps qui surgit / Ceux qui (dixit Pajak) pleurent pour se désaltérer de leurs larmes / Celui qui alterne la lecture des Esquisses pour un troisième journal de Max Frisch et le deuxième tome du Manifeste incertain de Frédéric Pajak en lisant parfois à haute voix (à sa compagne juste revenue des States) des passages de l'un touchant aux Américains ou de l'autre sur les gens qui se regardent sans se parler dans le métro de Paris et plus généralement un peu partout avec des pics dans le métro de Tokyo / Celle qui a tant pesé sur la tête de son fils qu'il l'est resté à tout jamais / Ceux qui vivent "dans la joie de la plus harmonieuse désolation", etc.

 

Image: Frédéric Pajak, in Manifeste incertain 2. Editions Noir sur Blanc, 2013.


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