J’ai l’impression que se développe aujourd’hui une société panoptique généralisée avec une surveillance permanente de l’ensemble des agents. Nous sommes tous surveillés à tous les niveaux, que ce soit de l’utilisation de moyens de paiements électroniques, à la géo-localisation, en passant par nos traces "numériques" que nous semons un peu partout… Cette société panoptique se diffuse à tous les niveaux en se fixant un objectif de sécurité. Garantir la sécurité des citoyens à tout prix, même au prix de leur liberté le cas échéant.
Il me semble ainsi que se généralise aujourd’hui une aversion au risque qui devient de plus en plus prégnante. Je cite deux configurations type :
1) Dans le cas des organisations, cette recherche de sécurité prend un pouvoir de plus en plus important au regard des composantes "cœur-de-métier" de ces mêmes organisations. Les organisations se dotent de structures "indépendantes" pour évaluer et contrôler les risques : audit, contrôle, conseil de surveillances, comité d’experts indépendants… le mille-feuille de ces structures qui s’empilent a pour but de "garantir" (mais est-ce seulement possible), contre la survenue de tout risque. Recherche permanente de sécurité.
2) En politique aussi, les régimes "démocratiques" modernes ont inventés la séparation des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le pouvoir judiciaire. L’indépendance de la justice étant censée permettre de contrôler le bon fonctionnement de l’exercice du pouvoir par ceux qui ont été élus à ces fins. Il a même été inventé un "quatrième pouvoir", la presse, dont la supposée indépendance doit servir d’ultime pare-feu pour éviter les abus et dérives du pouvoir lorsque le fonctionnement institué par la constitution n’est plus garant de lui-même.
L’objectif de cette ingérence du contrôle dans l’ensemble des processus décisionnels est de réduire le risque ; de le réduire à tous les niveaux.
Le même principe est visible à tous les niveaux de la vie : combien de documents faut-il aujourd’hui pour justifier que l’on peut être un locataire solvable ? combien d’entretiens et de tests divers ne faut-il pas passer pour décrocher un poste (quand bien même il ne s’agisse pas d’un poste de directeur général) ?
Bref, on le voit bien, la prévention du risque devient un impératif absolu.
En théorie, au-delà de la prévention du risque, cela devrait permettre également de garantir les promotions aux meilleurs, aux personnes qui sont les plus irréprochables… je pense aux enquêtes des services de sécurités auxquelles il est nécessaire de se soumettre pour travailler dans des entreprises dites "sensibles" par exemple. On pourrait imaginer que celles-ci permettent également de prévenir les conflits d’intérêt pour les nominations de hauts fonctionnaires, ou de contrôler l’éventualité de fraudes fiscales avant de nommer un ministre du budget…
Mais combien de failles sont à déplorer ? Combien d’Enron ? de chefs d’entreprises ou d’hommes politiques impliqués dans des "affaires" ? Combien d’accidents tragiques auraient pu être évités si les contrôles gagnaient en efficacité et en systématicité ? Alors à ce nouvel impératif on sacrifie de plus en plus de libertés individuelles (passeport biométrique, extension du fichage ADN, multiplication des caméras de vidéosurveillance, programme Prism…), on investi de plus en plus de fonds de la société pour le contrôle des agents économiques (Bâle, Solvency…), etc.
Je laisse chacun se faire son opinion propre sur l’efficacité de l’ensemble de ces contrôles. Il peut aussi à cette occasion être intéressant de se poser la question du coût que cela représente. Quel est le coût que cela représente en moyens économiques investis dans les opérations de sécurisation (quelle qu’en soient leur nature : procédure de recrutement, multiplication des opérations de reporting…) ? quel est le coût que cela représente en projets reportés, différés, abandonnés ?
Ce sacro-saint principe de précaution n’est-il pas un prix trop élevé à payer lorsqu’il devient l’unique critère permettant de prendre des décisions ? Et encore une fois, nos procédures de contrôles sont-elles les bonnes ? Il y a peu de temps, lorsque l’on cartographiait les risques nucléaire, le Japon n’était-il pas considéré comme exempté de tout risque significatif ? Et Fukushima a pourtant connu un "incident" majeur.
Je parle, je parle… et je m’écarte du sujet que je voulais aborder tant on pourrait dire de choses sur les contrôles de risques, les sur contrôles de procédures et autres outils de sécurisation. En effet, je voulais parler de la gouvernance, et, plus particulièrement de la gouvernance de l’Eglise catholique. En effet, s’il est bien une (grande) organisation qui n’est pas dans la logique du contrôle permanent c’est bien l’Eglise catholique.
En effet :
1) elle ne dépend du droit d’aucun état, puisque le "siège administratif" de l’Eglise est le "Saint siège" qui est géographiquement situé sur le territoire de l’Etat du Vatican que l’on peut considérer comme une "filiale" du Saint Siège (oui, je sais, avec mes comparaisons à l’emporte pièce, je vais en faire hurler plus d’un).
2) le chef de l’Eglise est non seulement élu pour un mandat illimité mais il n’est pas révocable, il ne rend compte devant aucune structure ayant autorité pour le dessaisir (point de conseil de surveillance, point de comité des risques, point de conseil d’administration, point de rapport auprès d’une autorité indépendante…)
3) les cardinaux (qui éliront le prochain pape), sont nommés par le pape. C’est donc un mécanisme de cooptation. Sur le papier, c’est sans doute l’un des plus mauvais systèmes : pas de sang neuf, pas de regard extérieur et critique, choix de "profils" qui correspondent le plus aux "intérêts" du chef en place… un tel système est certainement celui qui peut le plus promouvoir une corruption généralisée au plus haut niveau, avec de véritables dérives "mafieuses".
Or si l’on regarde le fonctionnement de l’Eglise catholique, notamment depuis la publication de la constitution dogmatique Pastor Æternus (18 juillet 1870) à l’occasion du premier concile du Vatican, on ne voit pas la généralisation d’une corruption et d’un pourrissement global de la tête de l’Eglise. Il y a bien des "dérives" du fait de certains ; dérives toujours trop nombreuses au regard de la sainteté que l’on aimerait tant voir resplendir sur chaque membre de ce corps.
Le fonctionnement de l’Eglise dans son ensemble, les nombreuses réalisations à porter à son actif nous donnent à penser que les "dérives" qui existent ne "gangrènent" pas l’organisation dans son ensemble ; bien au contraire ! au regard des mécanismes de contrôles dans nos entreprises et nos instances politiques, le fonctionnement finalement très "libéral" ou très "informel" de l’Eglise ne peut que nous interroger !
Par quel miracle l’institution ne s’est-elle pas effondrée sur elle-même ? Par quel miracle l’Eglise continue d’œuvrer tellement dans le domaine caritatif que dans l’annonce de l’Evangile ?