Berthe,
lorsque le secrétariat médical m'a rappelée pour me dire que le docteur D. voulait me revoir au plus vite, j'ai vite compris qu'il y avait un problème, un loup et même (je peux me le permettre) une couille dans le pâté. La secrétaire a émis des doutes quant à mes capacités intellectuelles lorsque je lui ai répondu qu'il était 18h15 et que je ne pouvais décemment pas me libérer pour 8h le lendemain matin. Je comprenais qu'il y avait une certaine urgence médicale mais nous n'étions tout de même pas à trois jours près…
Bref.
Arrive le 13 mai.
Mon cher docteur D. n'a pas tourné autour du pot, ou plutôt de la boule. Sur les radios faites pendant mon opération, tu te présentais sous ton meilleur profil : tu étais allongée (et non verticale comme toutes les tumeurs cancéreuses), lisse (et non pas avec des aspérités, des creux comme toutes les tumeurs cancéreuses) et avec un renforcement extérieur (et non intérieur comme toutes les tumeurs cancéreuses).
Mais voilà, la petite sournoise que tu es nous a tous bernés. Les analyses étaient mauvaises : tu n'étais pas juste une boule mais un cancer. Mon cancer.
Tout de suite, il m'a parlé du traitement : 6 séances de chimiothérapie suivies d'une radiothérapie. Heureusement, je n'allais pas jouer les Amazones et garderais mon sein. Toujours ça de pris.
A la suite de cette énumération, ma fontaine lacrymale s'est enclenchée. Lorsque j'ai repris le dessus, nous avons parlé de la nécessité de remettre toute grossesse aux calendes grecques (enfin à 2 ans après le traitement). Nouvelle salve de larmes.
Pendant 1h30, nous avons parlé de toi : ce que tu étais, les traitements et surtout de l'importance de rester maître de la situation. C'était à moi de choisir qui me soignerait et où. Je pouvais intervenir à tout moment dans ce long processus de soins qui allait se mettre en marche.
Une fois toutes ces infos très concrètes ingérées, la culpabilité est arrivée au galop. Nous étions tous heureux et j'allais faire voler en éclats l'insouciance et la quiétude de tous mes proches : mon amour, ma famille, mes amis… Refusant de me laisser partir seule, docteur D. m'a demandé d'appeler quelqu'un pour venir me chercher et rester avec moi. Belamour travaillant, je me suis tournée vers ma Belle des champs. Après trois sanglots et deux mots, j'ai entendu les deux mots les plus réconfortants : "j'arrive".
De retour à la maison, le tour de garde s'est organisé pour ne pas me laisser seule un instant : Belle des champs ne s'est absentée que pendant la pause déjeuner de Belamour. Belle des villes est venue à son tour, me permettant d'avoir mes deux chères amies auprès de moi en même temps. C'est bien la seule chose bénéfique que tu m'aies offerte ce jour-là. Tout l'après-midi, les mêmes sentiments sont revenus en boucle : culpabilité, injustice, colère, peine… culpabilité, injustice, colère, peine… culpabilité, injustice, colère, peine… Une fois seule avec Belamour, il a fallu me résoudre à asséner le coup de massue à mes parents. Les larmes au téléphone ne se voient certes pas, mais ce sont bien elles les plus amères. J'en avais fini avec les annonces. Mes parents se chargeraient de le dire à ma sœur et au reste de ma famille le lendemain.
Nous sommes allés nous réfugier sous la couette, épuisés de chagrin et passés à la moulinette.
Je le reconnais, ce que je t'écris aujourd'hui est loin d'être gai. Mais ce lundi 13 mai a été la journée la plus difficile à vivre.
Le match était lancé et tu venais de marquer en force le premier point.