José Jr.

Publié le 09 octobre 2013 par Gborjay

« José Jr. regarda une dernière fois de ses grands yeux limpides le ciel, cet espace infini symbole de liberté, d’épanouissement, de tout ce dont les nombreux refoulements croupissant chez le jeune homme étaient l’exact opposé. Il versa une larme et, faisant partir la poussière qui lui était rentré dans l’œil gauche et qui le gênait, s’engouffra dans la maison hantée.

C’était une maison hantée d’une drôle de conformation. Il n’y avait pas de fenêtres, si bien qu’on n’y voyait à l’intérieur que des murs, tous bardés de vieilles peintures aux sujets fantasmagoriques, et bien sûr abritant des spectres, beaucoup de spectres de toutes les catégories spectrales recensées par les spécialistes.

José Jr. ne s’arrêta pas là. Il continua et fit jouer le passage secret en actionnant le livre Histoires extraordinaires d’Edgar Allan Poe. Aussitôt, la cheminée bailla démesurément jusqu’à ouvrir sa bouche sur un long corridor souterrain, plongé dans l’ombre, et dont on ne voyait pas la fin.

José Jr. avait du courage à revendre, mais lorsqu’il s’aventura dans le long corridor il lui fallut en outre recourir à un grain de folie, ainsi qu’à une confiance en lui tout à fait insupportable, soit dit entre nous.

Toujours est-il qu’il y entra.

Et il marcha. Il marcha longtemps, très longtemps, plongé dans une obscurité à couper au couteau, pleine de brumes spectrales, de tableaux hurlants et de bruits de grincements qui vous mettaient très, très mal à l’aise. Il marcha si longtemps qu’il craignit, au bout d’un moment, que le long corridor n’eût pas de fin, qu’il s’y était engagé en pure perte, sous l’effet d’une velléité présomptueuse à l’extrême. Certains prétendent qu’il vieillit de plusieurs années durant cette excursion, et qu’il gagna des cheveux blancs par-dessus le marché. Ils sont peut-être jaloux, mais peut-être disent-ils vrai, l’un l’autre probablement.

Vint le temps où José Jr. ne se souvint plus d’où et quand il était rentré dans le long corridor, ni pour quelle raison. C’était une telle folie ! Valait-il le coup de faire demi-tour ? se demanda-t-il un jour, épuisé, à bout de souffle. Cependant une petite voix étouffé parla en lui et lui conseilla timidement de continuer, arguant que, dans un certain sens, il se pouvait qu’il avait fourni peut-être un peu trop d’effort pour revenir en arrière sans dommage, mais ça n’engageait qu’elle, bien sûr, chacun était libre de penser comme il voulait. Il décida alors de continuer, rampant à terre, avançant à tâtons, le plafond se rapetissant. Il se cogna maintes et maintes fois. Il douta.

Mais un beau jour, alors qu’il n’osait plus y penser, José Jr. arriva à l’autre bout du corridor. D’une main tremblante, il ouvrit la porte et… »

Lorsque vous prenez le parti d’écrire un livre, vous vous lancez dans une aventure dont vous ne maîtrisez pas grand-chose. Exactement comme José Jr. Au plein milieu de votre roman, vous écrivez page après page, sans vous rendre compte clairement de l’effet global, sans savoir si le résultat sera digne de vos efforts. Vous êtes dans le noir et vous vous cognez au plafond. Bref, vous avez la tête sous l’eau, le nez dans le guidon, vous morflez sec.

Mais, si comme José Jr. vous faites preuve de persévérance, peut-être serez-vous récompensés.

Peut-être.

Gustave Borjay vous salue.

« D’une main tremblante, il poussa la porte et sortit du long corridor de l’Ecriture.
Sous ses deux yeux abasourdis se dressa alors devant lui un spectacle saisissant :
c'était une falaise d'une hauteur faramineuse, qui se perdait dans les nuées, si bien
qu'on l'appelait depuis la nuit des temps la falaise de la Publication. Au pied de la
falaise, une odeur pestilentielle s'échappait d'un gigantesque charnier s'étendant
à perte de vue... »