Le Droit expliqué (aux cons)

Publié le 12 octobre 2013 par Alainduneuftrois


In limine litis
Amis juristes, amis du Droit, amis du bon sens et du discernement, j'entame aujourd'hui une entreprise d'envergure considérable. Voilà que depuis plusieurs années j'observe ma patrie et mes compatriotes, j'écoute avec un certain degré de consternation l'idée que les français se font du droit et de la justice tant en politique qu'au sein des courants de pensée contemporains (ça pue déjà l'article remplit d'hyperboles rien qu'avec cette dernière phrase). Savez-vous seulement ce qu'il m'arrive quand j'entends "ce qui se dit"?Je suis pris d'une violente crise de pleurnicherie, je m'enferme chez moi et hurle la phrase "MAIS QU'EST-CE QU'ILS SONT CONS!" à répétition jusqu'à souffrir d'un malaise vagal par manque d'oxygénation. (je vous laisse avec cette fabuleuse image de moi dans mon appartement, seul, allongé dans ma cuisine la tête contre le sol, l'imperceptible filet de bave coulant de ma bouche sans vie)Vous me direz "Alain... Va falloir se calmer un peu là, je pense que tu prends l'affaire un peu trop personnellement. Tiens mange une barquette de Petits Écoliers, ça ira mieux". Et vous auriez raison en un point, manger résout en général tous mes problèmes. Je persiste d'ailleurs sur une théorie personnelle qui me vaudra un prix Nobel posthume selon laquelle il y a une nourriture spécifique à chaque problème de la vie: Les petits écoliers pour les déprimes occasionnelles, la pizza pour les angoisses existentielles et le pot de Nutella 1kg à la petite cuillère en période d'examens (je précise que je ne suis, à ce jour, pas obèse).
Bref, je m'égare.
Voyez-vous, je suis physiologiquement incapable de ne pas prendre cela personnellement puisque c'est de mon pays dont il s'agit et jusqu'à preuve du contraire je n'ai que celui là sur lequel compter. Par identité de motifs, je n'ai pas le choix de mes compatriotes et savez vous seulement à quel point ils peuvent être CONS parfois? En réalité, je ne dis pas que les français sont cons, ce serait tout de même légèrement prétentieux et hautain que de l'affirmer. Ce que j'essaie vous dire, c'est qu'ils sont cons en droit. Tout comme moi je suis con en football: j'y comprends strictement rien, je ne connais que 2 équipes de nom et je répète tout ce que j'entends dire sur le milieu comme parole d'évangile. Sauf que dire des conneries sur le foot est, jusqu'à preuve du contraire, légèrement moins grave que de dire des conneries sur le droit, surtout à la télévision. (Jusqu'à récemment, j'étais convaincu que Karim Benzema jouait pour l'Inter de Milan. Rétrospectivement, ma décision de ne pas parier sur les matchs de foot a été sage).
Je ne veux donc plus que mon pays se complaise dans cet état d'inculture généralisée à ce sujet, qu'il se suffise dans sa connaissance du Droit par des phrases toutes faites issues en toute ou partie de la débilité totale de la réflexion à la Twitter qui pense pouvoir résumer toute idée complexe à 140 caractères. Cette culture du sensationnalisme instantané au détriment de la réflexion, de la remise en question perpétuelle de ce qui est pris pour acquis. Je veux balayer les idées reçues du droit d'un placage de rugby en cartouche cathédrale carrément pas réglementaire (mais comme l'arbitre a pas vu, c'est légal, et puisqu'il ne me regarde toujours pas, ce connard va profiter de l'onctuosité de mes crampons en acier fourrés droit dans son intimité)
Face à cette ineptie, je me permets donc de passer en revue certains points de droit qui méritent d'être éclaircis. Cet exercice prendra la forme d'un dialogue informel. En bon juriste français, je commence avec une citation historique:


"Il ne suffit pas d'être con, il faut être fier de l'être" Abraham Lincoln, Discours devant l'assemblée générale de l'ONU, 2013*
*Si vous ne contestez pas la véracité de cette citation, vous êtes, en tout état de cause, complètement con et devez lire ce qui suit.


Didascalie: Je suis assis à la terrasse de mon PMU préféré rue Paradis à Marseille (oui, vous ne le saviez pas, je suis un bobo), buvant mon café matinal quand soudain j'aperçois un de mes clients, Monsieur Patoulacci, aide-soignant à la clinique Notre Dame de Lorette et gérant de la boîte de nuit "Le Makumba Night", un homme dont l'intégrité ne fait planer aucun doute. Manifestement ému, il m'aborde et se confesse: il a religieusement écouté tous les journaux télévisés la veille au soir qui ont relaté les faits d'un délit particulièrement violent qui s'est produit dans la région. Toutes les personnalités politiques de France se sont saisis de l'affaire et nous ont fait don de leur commentaires érudits en la matière. Absorbé par les déclarations publiques qui ont été faites, Monsieur Patoulacci s'empresse de me questionner à ce sujet, qu'à cela ne tienne, il se trouve que je suis en mesure de lui fournir mon opinion juridique:

Phrase à la con n°1: "Moi je comprends pas, le voyou a braqué ce pauvre commerçant avec son arme et s'étonne de se faire tirer dessus après? Enfin c'est de la légitime défense bon sang! C'est dans la loi! Pourquoi est-ce qu'ils mettent en examen ce commerçant pour homicide? Ce voyou a assumé les risques de son métier et bah il a perdu, voilà c'est tout."
Réponse de votre conseil: "Effectivement Monsieur Patoulacci, vous avez tout à fait raison, d'ailleurs une grande partie des politiques le disent. C'est donc que ce doit être vrai... mais...aïe... me voilà confus. Je viens de me souvenir de l'article 122-5 du code pénal... Votre commerçant lui a tiré dans le dos alors qu'il fuyait?
Nous voilà tracassés alors car ce même article nous précise que pour être pénalement irresponsable d'un crime en vertu de la légitime défense, l'agression doit être actuelle, réelle et injustifiée et parallèlement la défense doit être nécessaire, concomitante et proportionnée à l'agression. Or s'il prenait la fuite, l'agression n'était plus réelle ni actuelle et la défense se trouvait donc ni nécessaire, ni concomitante à l'agression.
En y réfléchissant un peu, je dois vous avouer y trouver une certaine logique. Vous imaginez un braqueur se faire dé-souder par balle 10 minutes après le vol? On n'est plus dans la légitime défense, on est dans la vengeance Monsieur. Or le droit Français, dans son caractère exceptionnel dirais-je, n'admet pas que la vengeance puisse être individuelle. Elle n'admet d'ailleurs tout simplement pas la vengeance comme un motif de l'action publique, on parle de punition si vous voulez, et celle-ci doit être sociétale, c'est à dire prononcée par les pouvoirs publics qui eux seuls ont le monopole de la violence."
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Phrase à la con n°2: "Ils parlaient du procès à la télévision hier soir. D'ailleurs, je trouve ça scandaleux que la justice ne parle que très peu de la victime! C'est elles qui on subi le crime! Et il sont où leurs droits hein? On nous répète à longueur de journée -les droits de la défense et tralala et tralala...- On nous parle jamais des victimes de crime dans les décisions de justice, c'est dégueulasse!"
Réponse de votre conseil: "Comme je vous comprends Monsieur Patoulacci et j'éprouve une profonde empathie pour les victimes de crimes et délits. Mais saviez-vous qu'un procès sert, non pas à démontrer que la victime est bien une victime car c'est une évidence dans la majorité des cas, mais à démontrer la culpabilité ou non d'une personne?
En effet, j'ai moi-même été choqué d'apprendre que le procès est celui du prévenu et non de la victime dont la question de la réparation du préjudice n'est que purement accessoire, le principal étant, comme je viens de vous le dire de démontrer la culpabilité du prévenu."
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Phrase à la con n°3: "Je viens de voir qu'ils ont remis en liberté un violeur multi-récidiviste. Apparemment, pendant sa garde à vue, les policiers l'on asséné de coups, histoire qu'il se confesse plus rapidement. Le juge d'instruction a décidé que cette admission de culpabilité n'était pas valable, l'affaire s'est écroulée. Le mec est libre alors que c'est évident que c'est lui, c'est évident!"
Réponse de votre conseil: "Je suis bien d'accord avec les policiers! Les violeurs mériteraient un bon passage à tabac, à plus forte raison s'ils sont récidivistes. Cependant, le juge d’instruction a clairement respecté le principe de la présomption d'innocence. La charge de la preuve de la culpabilité ou non du mis en examen appartient au Parquet, c'est à dire que eux doivent fournir les éléments de preuve incriminants. Le mis en examen, bien qu'il puisse s'expliquer, n'a en théorie pas à prouver son innocence. Et c'est normal, prouver une négative, une absence, vous en conviendrez, c'est complexe."
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Phrase à la con n°4: "Ces avocats qui défendent des truands, des assassins, des violeurs, c'est vraiment des ordures! Comment est-ce qu'ils peuvent faire ça?"
Réponde de votre conseil: "Vous exagérez Monsieur Patoulacci, la plupart de ces avocats sont ce que vous appelez plus communément sous l’appellation de commis d'office. La plupart de ces criminels et délinquants présumés n'ont soit pas d'avocat à disposition soit pas les moyens de s'offrir les services d'un conseil juridique aussi prestigieux que le mien m'voyez? Indépendamment de ces cas, même un criminel ayant commis les actes les plus perfides a le droit d'être représenté par un avocat. C'est pour cela que notre République rayonne Monsieur, car nous ne nous abaissons pas à leur niveau. Là où eux ne nous auraient pas accordé le bénéfice d'un procès équitable, la République est quant à elle miséricordieuse, elle se place bien au delà, et c'est d'ailleurs sa fonction, de la bassesse des émotions humaines primaires. C'est pour cela qu'on leur accorde un procès équitable, peu importe la gravité du crime, peu importe que dans notre for intérieur nous rêvons de les voir pendre sur la place publique aux yeux de tous. Le jour où notre justice sera fondée sur la vengeance, une émotion qui nous est commune, et bien courez. Courez loin d'ici et ne revenez plus car nous ne serons plus en République, mais dans un régime autoritaire."
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Phrase à la con n°5: "De toute façon, les avocats, c'est tous des voleurs!"
Réponse de votre conseil: " N'exagérez pas, les honoraires d'avocat sont fixés librement. Ils peuvent prendre la forme soit d'une facturation horaire qui doit faire l'objet d'une feuille au temps passé , soit d'un forfait dont la teneur fera l'objet d'un accord mutuel entre vous et moi avant tous travaux. Si vous considérez que j'ai gonflé le temps passé sur votre dossier, allez voir le bâtonnier de l'ordre duquel je dépends. Lui saura exactement estimer le temps à passer nécessaire sur votre dossier et je risque de vous rembourser la différence, de vous devoir des dommages et intérêts ainsi que de me voir radier du barreau. C'est donc extrêmement débile pour moi de risquer ma carrière pour quelques heures en plus. Bien que cela arrive, ce n'est que très rarement." 
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Phrase à la con n°6: "Les tribunaux paritaires des baux ruraux, c'est quoi ça?"
Réponse de votre conseil: "Personne ne sait réellement..."
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Puisque nous sommes dans mon fantasme dans lequel je suis un grand avocat, je vous soumets une idée de plaque professionnelle à apposer sur le mur de mon cabinet. C'est peut être un peu too much, mais je préfère tout dire...