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La Commune : Paysage et contexte - notes

Publié le 13 octobre 2013 par Deklo

Navid Nuur - I am just an idea between the wall and the tape

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Précédemment : On a vu la proclamation de la Commune et l’immense joie qui l’accueillit.

 

  Sans entrer dans le détail des soulèvements, des insurrections, des révolutions, mais aussi des intrigues, des coups d’État, des répressions qui leur ont répondu, qui ont exercé leur pression tout au long du 19e siècle, on peut dessiner l’insistance convaincue, farouche des républicains et la difficulté qu’il y a eu à se débarrasser de monarchistes qui n’en finissent plus d’accaparer la France…

 

  Noter d’abord, cette description que donne Jaurès, pour introduire la partie qu’il consacre à la Commune dans son Histoire socialiste : « La France s’attarde dans une combinaison d’oligarchie bourgeoise qui n’a ni la force des grandes aristocraties traditionnelles, ni la force des grandes démocraties. La bourgeoisie s’est constituée en un étroit pays légal. Elle a exclu le peuple du droit et du pouvoir. Sur cette base étriquée elle se tient immobile, en un équilibre laborieux et tremblant, et elle n’ose plus risquer un geste par peur de tomber à droite ou à gauche. Au dehors, elle n’a ni la sympathie des gouvernements aristocrates, ni la sympathie des peuples »[1].

 

  C’est une France hantée par les convulsions monarchistes que la France du 19e siècle… Une France que s’arrachent tantôt la noblesse d’Ancien Régime, les propriétaires fonciers, tantôt les grands industriels, la haute bourgeoisie qui a gagné et dévoyé la grande Révolution : « Sous les Bourbons, c’était la grande propriété foncière qui avait régné, avec ses prêtres et ses laquais. Sous les Orléans, c’étaient la haute finance, la grande industrie, le grand commerce, c’est-à-dire le capital, avec sa suite d’avocats, de professeurs et de beaux parleurs. », écrira Marx[2]. Une France qui finit par se faire dévorer par des royalistes qui s’entendent enfin, dégagent un intérêt commun sous la Deuxième République : « Leur domination [aux royalistes coalisés], en tant que parti de l’ordre, sur les autres classes de la société fut plus absolue et plus dure qu’elle ne l’avait été auparavant sous la Restauration ou sous la monarchie de Juillet, et elle n’était possible que sous la forme de la République parlementaire, car c’est seulement sous cette forme que les deux grandes fractions de la bourgeoisie française pouvaient s’unir et, par conséquent, substituer la domination de leur classe à celle d’une fraction privilégiée de cette classe. »[3].

 

  Les conditions de vie sont rudes. Et si les conservateurs savent pour l’avoir vue lors de nombreuses insurrections, la force intransigeante du peuple, ils se montrent peu partageux…  Certains pourtant dénoncent : « La misère, dans Paris, est plus grande qu’ailleurs ; la lumière et le soleil s’y vendent plus cher »… « si vous faisiez une enquête sur ces logements d’où sont sortis ces soldats de l’insurrection, vous verriez que, dans certains quartiers ouvriers, ces populations payent plus cher que nous relativement. »… « Quand vous allez acheter une maison dans un beau quartier, si elle rapporte 4 pour 100, vous êtes content ; mais une mauvaise petite baraque rapporte davantage, et les ouvriers payent plus relativement. »[4]… Et de mettre en garde une classe bourgeoise qui reste sourde : « Il faut, j’en suis convaincu, que les classes éclairées conservent le gouvernement de la société ; que ce soit sous le régime censitaire, ou sous le régime du suffrage universel, c’est aux classes élevées à diriger la société. Mais pour qu’elles aient le pouvoir, il faut qu’elles fassent attention aux besoins, aux misères, aux faiblesses de cette classe, à côté de laquelle elles sont en minorité. »[5].

 

  Noter cet extrait d’une lettre de Flaubert à Sand : « La seule chose raisonnable (j’en reviens toujours là), c’est un gouvernement de mandarins, pourvu que les mandarins sachent quelque chose et même qu’ils sachent beaucoup de choses. Le peuple est un éternel mineur, et il sera toujours (dans la hiérarchie des éléments sociaux) au dernier rang, puisqu’il est le nombre, la masse, l’illimité. Peu importe que beaucoup de paysans sachent lire et n’écoutent plus leur curé ; mais il importe infiniment que beaucoup d’hommes, comme Renan ou Littré, puissent vivre et soient écoutés. Notre salut n’est maintenant que dans une aristocratie légitime, j’entends par là une majorité qui se composera d’autre chose que de chiffres. »[6]. Puis relever son point de vue sur la « démocratie » aurait pu être amusant ; il n’est pas développé… : « 
Je hais la démocratie (telle du moins qu’on l’entend en France), [parce qu’elle s’appuie sur « la morale de l’Évangile » qui est l’immoralité même, quoi qu’on dise,] c’est-à-dire l’exaltation de la grâce au détriment de la justice, la négation du droit, en un mot l’anti-sociabilité. »[7] [ supprimer, aucun intérêt].

 

[Note : procéder par touches, laisser pressentir des dynamiques plutôt que de tenter de cerner quelque chose…]

 

  S’arrêter sur la défiance des républicains à l’égard de ceux qu’on appellerait des conservateurs, que d’autres appellent des bourgeois, des réactionnaires, autre… qui ont, à chaque fois, par des tours de passe-passe ou le recours à la répression, trahi les poussées de liberté, d’égalité, de justice du Peuple… Relever un exemple, le plus proche, celui qui achève de confisquer le pouvoir au Peuple sous la Deuxième République : « Le suffrage universel s’était, le 10 mars [1850], prononcé nettement contre la domination de la bourgeoisie. Celle-ci répondit en proscrivant le suffrage universel… La loi du 31 mai raya au moins 3 millions d’électeurs des listes électorales, réduisit le nombre des électeurs à 7 millions »[8].

 

  Relever aussi évidemment la défiance des conservateurs quant aux républicains dont ils connaissent la ténacité, l’exigence. Avant même la Commune, on isole ceux qui protestent, on étouffe ceux qui parlent, on cassent ceux qui résistent… Prendre un exemple… Regarder un discours à l’Assemblée nationale d’un garde des sceaux qui parle d’une « horde égarée » pour désigner les républicains et justifie les arrestations de centaines de gens et l’interdiction de réunions en expliquant qu’il faut « isoler pour mieux la contenir et la vaincre » cette partie, forcément minoritaire et condamnée par le reste de la population[9].

 

  Enfin en venir à cette Troisième République qui s’installe… Relever la façon dont les conservateurs pensent pouvoir se servir de l’idée républicaine. Noter un extrait d’une lettre que Thiers reçoit d’un ami : « « Il faut se servir de la forme républicaine pour achever de renouveler notre pays corrompu par l’empire – non de cette république haineuse des sectaires, - mais du gouvernement de tous qui rende à la France pendant un interrègne fécond et par un accord intelligent des partis, un peu de cette force qu’en six mois elle a si douloureusement et si héroïquement dépensée. […] Un gouvernement neutre capable de museler les violents, d’exiger des sacrifices sans soulever de trop ardentes rancunes, de porter sans plier les fardeaux les plus lourds, parce que tout le monde inclinera ses sentiments devant un drapeau qui ne sera celui de personne. »[10].

 

  Noter que, plus tard, un journal bonapartiste, l’Ordre de Paris, exprimera plus ou moins une idée similaire : « L’opinion de la plupart des gens sensés et expérimentés, c’est que la République abrite sous les plis de son drapeau tant de passions et de systèmes, qu’elle ne saurait marcher un mois sans l’état de siège dans tous les centres importants du territoire, à moins de donner de nouveau le spectacle affligeant des grandes calamités ». L’article poursuit en exprimant son souhait d’une « République nominale », qui n’a de République que le nom donc : « la République nominale, gouvernée, heureusement, à l’exclusion des vrais républicains, préserve la France des fléaux inévitables de la République effective ».[11].

 

  Insister sur ces termes «  un gouvernement neutre », « une République nominale »…

 

  Relever cette inquiétude que nourrissent les républicains qui observent les conservateurs tenter d’utiliser et de salir l’idée républicaine afin de pouvoir réinstaller la monarchie : « Les Orléanistes veulent une république intérimaire pour conclure une paix déshonorante, de sorte que la responsabilité n’en retombe pas sur les Orléans qui seront restaurés dans un second temps. » [12] écrira Engels qui reprend une idée dont se persuade toute la gauche de l’époque…

 

  Voilà en ce qui concerne les espoirs, les défiances et les traumatismes qui tracassent les uns et les autres, dans un jeu politicien de rapports différentiels, au moment où se dessine l’idée de quelque chose comme la Commune… La suite de notre étude permettra de se faire une impression plus nette…

 

  S’arrêter quand même sur quelques éléments…

  Foucault remarquait qu’« Il n’y a pas de rationalité gouvernementale du socialisme. Le socialisme, en fait, et l’histoire l’a montré, ne peut être mis en œuvre que branché sur des types de gouvernementalité divers… »[13]. Selon lui le socialisme s’embranche à des modalités qui lui sont exogènes, démocratie représentative, État policier, etc… sans mettre au point, donc, sa propre rationalité, c’est-à-dire sa propre façon… Je voudrais que l’on retienne quelque chose… On a une rationalité positive, c’est-à-dire qui atteint un niveau où on s’y retrouve, où on tient dans les mains un corpus de propositions, d’idéologies et d’idéologèmes, de paradigmes qu’on peut désigner – spoiler alert : on n’atteint jamais un pareil niveau, le hic est précisément là – une rationalité positive, donc, disons conservatrice ou bourgeoise ; on a une république qui neutralise les forces en présence pour trouver un équilibre… Il se trouve que la Commune est une rationalité positive socialiste, ça aura échappé à Foucault, ce n’est pas grave… une rationalité socialiste unique dans l’Histoire que l’on va voir s’exercer dans cette étude… Je n’entends pas articuler ces trois bouts de ficelles disparates et contrariés, rationalité positive bourgeoise, république neutralisée, rationalité positive socialiste, j’entends étudier la Commune aussi honnêtement que cela se puisse et se faisant, récolter des éléments et retrouver cette question plus tard, en observant comment elle se sera précisée…

 

 

Dimanche prochain : On continuera à observer le contexte en se rapprochant de la Commune…



[1] Jean Jaurès, Histoire socialiste, T. XI, Paris, 1901-1908, p. 23.

[2] Karl Marx, le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, p.16.

[3] Ibid.

[4] Déclaration de M. Hervé à la commission d’enquête sur le 18 mars, cité par Jules Favre, Gouvernement e la Défense nationale, T. III, p. 564.

[5] Ibid., p. 235.

[6] G. Flaubert, lettre à George Sand, 30 avril 1871.

[7] Ibid.

[8] K. Marx, op. cit., p. 25.

[9] Cf discours d’Emile Ollivier à l’Assemblée nationale, séance du 8 février 1870.

[10] Lettre de Georges Picot au comte de Montalivet, in le courrier de M. Thiers, p. 426.

[11] L’ordre de Paris, 5 Novembre 1873.

[12] Lettre d’Engels à Marx, 7 septembre 1870, in Marx, Engels, la Commune 1871, pp. 54-55.

[13] Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, p. 93.


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