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Comme une envie de coup de boule

Publié le 13 octobre 2013 par Nicolas Esse @nicolasesse

Je vais coller un pain à ma voisine. Je sais, ce n’est pas bien. Ni galant. Ni élégant. Ni urbain. Ni civilisé. Je sais, c’est très violent. Quand je lui aurai fait son affaire, je mettrai un coup de boule à son voisin. Quant au petit groupe à deux mètres de moi, quinquagénaires en Converse et en slims cigarette, eux, je vais les prendre en tenaille, en faucheuse, eux, je vais me les faire par les pieds, éparpiller leur faux-cuirs de motards façon puzzle, suivant les bons conseils de Michel Audiard qui lui non plus n’aimait pas les cons. Les pulvériser façon bouillabaisse ou pâtée ronron. Et quand tout ce beau monde sera enfin étendu inconscient sur le sol, peut-être qu’alors, on pourra ENFIN écouter le son produit par cette bouche et cette guitare derrière leurs micros, sur la scène.

Honnêtement, je ne comprends pas et la chose défie la logique, vraiment. Vous ouvrez le journal ou votre ordinateur et vous voyez : la semaine prochaine Gérard Préfontaines en concert. Il se trouve que vous avez l’intégrale de l’œuvre musicale de ce monsieur chargée sur itunes, spotify ou en trente-trois tours, Gérard Préfontaines a commencé à chanter au temps du trente-trois tours.  Vous vous dites : "Génial! J’aurai donc une chance unique de voir en pied, ce vieux Gérard, c’est vrai, il a plus l’air trop frais."

On ne sait pas trop avec les chanteurs qui abordent les rives du troisième âge chargés d’alcool et de produits toxiques.

Donc, banco! Vous faites péter la carte de crédit en réprimant quand même un sursaut au vue de la somme demandée pour aller écouter ce cher Gérard. 60 balles, c’est pas donné, à ce prix-là, j’espère qu’il tient encore debout et qu’il ne va pas nous la faire à la camomille, deux ou trois chansons et puis s’en vont, et merci pour l’offrande, cher public ami. Ok, je crache mes 60 boules et me pointe bien avant l’heure le soir du concert.

C’est peu dire que nous sommes peu. Une petite centaine tout au plus pour saluer bruyamment l’arrivée du troubadour délicieusement pervers qui traverse la scène, s’assied, chausse une paire de lunettes fumées, prend sa guitare et se met à jouer. Installé sur le côté, un batteur et c’est tout. Guitare rythmique batterie et voix, voilà le menu de ce soir et la modération du volume sonore souligne à merveille ce dépouillement de bon aloi. Donc, le concert commence mezzo voce. Et là, je ne comprends pas, j’en appelle à vous, frères et sœurs en humanité, je voudrais bien comprendre une fois pour toutes ce qui vous pousse à investir vos précieuses économies et le peu de temps qui vous reste avant d’aller mourir pour aller voir un concert que vous n’écouterez pas. J’exige des explications! Tout de suite. Maintenant!

Reprenons.
D’abord, il y a le facteur Gérard Préfontaines, qui est un chanteur, mais le facteur déclenchant qui vous a tiré de votre couette pour aller affronter cette pluie glacée qui s’abat sur le premier froid de l’hiver.  Si vous êtes là, en ce moment, dans la nuit humide et glacée, si vous cheminez le pied roidi par le gel qui menace, c’est bien parce que l’œuvre de Gérard vous parle, qu’elle vous saisit et vous transporte ailleurs. Vous aimez sa voix et ses chansons. Sa manière délicieusement licencieuse de murmurer du bout des lèvres le chant cru de la chair claire. Vous aimez Gérard, au moins un tout petit peu. Sinon, à quoi bon ? Il y a des tas d’autres chanteurs, plus jeunes, plus beaux, des anglophones, des hispanophones, mal rasés ou épilés, je ne connais pas vos goûts en matière de pilosité, mais on dira qu’une personne qui n’aimerait pas du tout le style musical et la voix de Gérard Préfontaines n’aurait aucune raison d’aller le voir en concert alors que celui ou celle qui l’écoute en boucle dans sa chambre tapissée de posters de Gérard se rendra au concert à pied ou à genoux, ça dépend de la hauteur du pied.

Bien.
Nous pouvons donc assumer que nous sommes ici en présence d’un nombre X de personnes tels que X est composé d’un nombre Y de fans de Préfontaines auquel il faut additionner un nombre Z de journalistes, organisateurs, glandeurs et officiels du service d’ordre, il n’y en avait qu’un seul hier soir et pour cause, l’assistance avait le même âge que le chanteur grisonnant. Nous pouvons également affirmer que la population Y formait et de loin la plus grande partie de l’assistance, à vue de nez, environ 70 personnes sur cent.

Ensuite, il y a le facteur prix. Vous, je sais pas, mais moi, j’ai toujours un peu de peine à balancer une poignée d’oseille dans la nature, comme ça, juste pour le fun. Je suppose que je ne suis pas le seul,  que nous sommes plusieurs à nous interroger sur le bien-fondé d’un investissement dans le visionnement éphémère d’un chanteur plus très frais alors qu’avec la même somme d’argent on pourrait investir dans la viande de bœuf ou dans l’achat d’un liquide roux et âgé de seize ans d’âge qu’on trouve chez nous en vente libre depuis que les Écossais ont eu la bonne idée d’exporter leur whisky. Je recommande tout particulièrement, pour l’équivalent du prix du billet d’un concert de Gérard Préfontaines, un Glenmorangie Lasanta 12 ans d’âge mais encore vif, qui mettra en joie vos amygdales et réchauffera vos corps transis par les bruines glacées de l’automne

Pour résumer, dans la salle de concert où se produit ce soir Gérard Préfontaines, nous avons affaire à 70% de fans qui vont de la groupie offerte, 1er rang décalée sur la gauche, aux crânes dégarnis éparpillés un peu partout dans l’assemblée qui sont venus mesurer la distance qui les sépare de leurs jeunes années.
Je pense qu’on peut étendre ce type de configuration à la majorité des concerts où se produit une seule tête d’affiche, par opposition aux festivals où on se gave de curry vert pendant que Nirvana s’agite en vain sur la scène alors qu’on attend impatiemment la venue d’Yvette Horner.

Alors, je voudrais qu’on me dise, vraiment, qu’on m’explique, pourquoi tout le monde se met à parler pendant les concerts. Pourquoi ? Pourquoi braver la faim et le froid ? Pourquoi se délester de ses maigres économies pour assister à un spectacle qu’on ne verra pas ? Qu’on n’entendra pas ? Pourquoi ?
POURQUOI ?
Pourquoi, si on aime Yvette Horner, ne pas l’écouter lorsqu’on vient assister à son concert ? Tout ça me dépasse, je ne comprends pas. Il suffit que le concert commence pour que tout le monde se mette à parler. Le problème, ce soir, vient du niveau sonore : Gérard est un être délicat et sa musique ne hurle pas, ce qui serait très agréable pour mes tympans souffreteux si le brouhaha des conversations ne recouvrait pas ses notes; si je ne me retrouvais pas plongé malgré moi dans les affres de la séparation de Charlotte, ou des prévisions pour le week-end qui s’annonce très frais, foi de ce jeune homme frisé sur ma droite qui s’interrompt de temps à autre pour sucer avec entrain le groin de sa copine. D’habitude je ne suis pas grossier et encore moins belliqueux, mais là, je n’en peux plus. Je suis venu entendre de la musique, pas une discussion de bistrot.  Plus le concert avance et plus les conversations prennent le dessus.
Je crois d’ailleurs que, bien plus que Led Zeppelin, c’est le volume sonore produit par les considérations des spectateurs qui est à l’origine du hard rock et du gros son. Les musiciens en avaient simplement marre que leur musique soit noyée dans la masse grouillante des conversations. Alors, ils ont eu l’idée de monter le volume. Dans la salle, les spectateurs ont parlé plus fort. Sur la scène, les musiciens ont encore monté le son. Les spectateurs ont crié. Les guitares ont hurlé. Jusqu’au point ou la puissance des haut-parleurs a fini par vaincre le bruit des voix des spectateurs.
À la fin, tout le monde est sourd et plus personne n’entend Led Zeppelin.

Reste le problème de tous les autres groupes, chanteuses et chanteurs réticents à l’idée d’exprimer toutes les nuances de la mélancolie d’une rupture automnale sur un volume sonore équivalent au départ d’un avion à réaction. Je me propose dès à présent de m’élever en défenseur des asthmatiques, des filets de voix rachitiques et des guitares acoustiques. Il faut faire quelque chose pour que tous les artistes non-vrombissants aient une chance de se faire entendre jusqu’au fond de la salle. Je réfléchis à un catalogue de mesures qui vont de l’amende au bâillon. En attendant la publication de cet intéressant document, je m’adresse d’ores et déjà à tous les hommes et à toutes les femmes venus assister à un concert dans le seul but de dérouler bruyamment le fil insignifiant de leurs vies misérables.

La prochaine fois, restez chez vous.

Gardez l’argent de vos billets de concert pour une caisse de mauvais vin rouge. Mettez votre chaine stéréo "design" en mode aléatoire. Programmez l’intégrale de Gérard Préfontaines. Sortez les canapés au saumon sur la table du salon couleur saumon. Invitez vos amis Bouffez.
Buvez.
Forniquez.
Et à la fin faites passer le panier et envoyez les pièces à Gérard. Qu’il  puisse continuer à chanter devant le dernier quarteron d’irréductibles qui ont encore la décence de fermer leur gueule quand c’est le chanteur qui cause dans le micro.



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