Le tricentenaire de la naissance de Denis Diderot est l'occasion d'aller voir un peu qui il était vraiment, par-delà la légende dorée.
De la trinité sacrée qu'il forme avec Rousseau et Voltaire, Diderot semble le plus épargné par les éventuelles critiques et sarcasmes hérétiques. L'abandon de sa progéniture par le pédagogue Rousseau est un argument récurrent contre lui. Quant à Voltaire, on jette une pierre dans son jardin en rappelant qu'il fut actionnaire de la Compagnie des Indes.
L'indulgence vis-à-vis de Diderot tient peut-être à ce qu'il est le plus moderne des trois ; ni chrétien comme Rousseau, ni "déiste" comme Voltaire.
- Diderot révolutionnaire : comme Voltaire, Diderot bénéficia de l'appui d'un tyran puissant, l'impératrice Catherine II de Russie. Il joua le rôle de conseiller artistique auprès d'elle, bien plus que de conseiller politique. Comme la plupart des philosophes des Lumières, Diderot aspire à des réformes institutionnelles pacifiques selon le "modèle anglais" (Les rares philosophes des Lumières qui vécurent jusqu'à la Révolution finirent sur l'échafaud pour avoir condamné ses débordements sanglants.)
- Diderot, victime de la censure : le siècle de Louis XV est un siècle où tout est en censuré en principe, mais rien concrètement. Les ouvrages interdits sont imprimés en Hollande et passent la frontière facilement. Diderot qui craignait beaucoup la police fut emprisonné à Vincennes après avoir été dénoncé comme l'auteur d'un ouvrage grivois, mais traité comme un VIP.
- Diderot, critique d'art : parfois considéré comme un pionnier de la critique d'art, Diderot a dû, dans ce domaine dont il ignorait presque tout, improviser complètement afin de satisfaire la fringale de lecture des abonnés du fanzine de son ami Grimm. Diderot inaugure plutôt une longue lignée d'écrivains ou de poètes qui savent mêler habilement leur art avec la peinture. Son idéal "néo-classique" contraste d'ailleurs avec des goûts personnels assez romantiques.
- Diderot libertin : à l'opposé du marquis de Sade, Diderot est issu d'un milieu populaire. Il est donc conscient que le libertinage est l'apanage des castes les mieux nanties, et en outre que la littérature libertine n'a pas une grande portée. Ce bon vivant est, dans les domaines politique et artistique, partisan de la vertu.
- Diderot athée : athée, Diderot fait partie d'une minorité de philosophes des Lumières à l'être. Mais en cela il n'est pas novateur ; bon nombre de moralistes du XVIIe siècle étaient déjà "sceptiques", et le clergé n'était pas en reste sur ce point.
- Diderot savant : comme Voltaire, Diderot est plutôt le promoteur ou le porte-parole de tel ou tel savant (d'Alembert) qu'un spécialiste de la physique newtonienne, et cela bien que le cloisonnement entre l'art, la science ou la théologie, n'était pas strict tel qu'aujourd'hui.
Pour en savoir plus : "Denis Diderot ou Le vrai Prométhée", par Raymond Trousson (2005) ; "Diderot cul par-dessus tête", par Michel Delon (2013).