Les étrangers sont toujours choqués de voir les hommes indiens aller dans la rue deux par deux, main dans la main… Et même si j’y suis habituée, voir mon nouvel embauché laisser négligemment sa main traîner sur la cuisse d’un collègue rencontré le matin même, puis s’installer confortablement et lui passer le bras autour des épaules, m’a quand même fait tilter.
C’est d’autant plus surprenant qu’on ne voit pas ce type de comportement entre hommes et femmes.
D’où l’idée que l’Inde explose les ratios d’homosexualité… Mais en fait non, elle est dans la norme de ce côté-là (1) (avec certes un peu plus d’homosexualité circonstancielle due au fait que les relations sexuelles entre hommes et femmes non mariés sont mal vues – ils prennent un peu les trous qui passent quoi, en attendant le mariage…). C’était même considéré comme un délit jusqu’en 2010, quand la Cour Suprême observa que le concubinage et le sexe prémarital n’avaient rien d’illégal (2). Jusque-là, je me souviens que certains hôtels ne voulaient pas nous laisser dormir ensemble, mon ex-Indien préféré et moi, puisque nous n’étions pas mariés et que la police pouvait faire une descente et nous arrêter pour prostitution…
De même, la loi n’interdit pas spécifiquement les démonstrations publiques d’affection : le Code Pénal de 1860 stipule bien que « quiconque commet un acte obscène dans un endroit public, et que ça dérange autrui, peut être puni d’une peine de prison ou une amende ou les deux » (3). Mais nulle part il n’y a de définition de l’obscénité… (4).
N’empêche que ce n’est pas dans les mœurs de se faire des mamours en public (5). C’est même assez condamné par les bienpensants… Et ça change un peu, mais pas très vite… Par exemple, de plus en plus de jeunes perdent leur virginité avant le mariage et sont obligés de se retrouver dans des parcs ou des terrasses d’immeuble puisque pas question de ramener quelqu’un du sexe opposé dans sa chambre…
Les Indiens ont un concept bien à eux de « l’espace vital ». Ça n’existe tout simplement pas. Combien de fois mon voisin d’avion a carrément envahit mon espace en débordant de l’accoudoir ? Combien de fois, dans des bus ou des trains bondés, des Indiens s’assoient sur les genoux d’inconnus sans que ça dérange personne ? Combien de familles dorment à six ou plus dans une seule chambre ? Difficile d’établir le concept d’espace vital dans des villes surpeuplées… Et puis quel bien ça leur ferait ??
Et puis voilà quoi, ils aiment bien le contact. Point.
Et si on regarde bien, ça ne fait que quelques petites dizaines d’années que les mâles occidentaux n’ont plus beaucoup de contact physique. Ce phénomène serait lié à la montée de l’homophobie.
A la fin du dix-neuvième siècle, l’homosexualité a commencé à émerger en tant qu’identité plutôt que simple pratique : on est passé de quelque chose qu’on faisait (à travers l’acte sexuel) à quelque chose qu’on était (un homosexuel). Progressivement les homosexuels ont attiré de plus en plus de suspicion jusqu’aux chasses aux sorcières contre les homosexuels dans les années 50. Et plus on se méfiait des homos, moins les hommes avaient de contact physique entre eux : les hétéros voulaient s’assurer que personne ne pourrait croire qu’ils étaient de l’autre bord. « La paranoïa avait remplacé l’affection publique. » (6)
Photo: www.artofmanliness.com
(1) http://www.indiansamourai.com/search/homosexualit%C3%A9
(2) http://www.dnaindia.com/speakup/1363839/message-board-will-the-supreme-courts-ruling-on-pre-marital-sex-and-live-in-relationships-destroy-indian-culture
(3) Section 294 (a) du Indian Penal Code, 1860
(4) The word 'obscene' has not been defined in the code. The laws are vague in that no specific definition is laid down which could lead to arbitrary interpretation and in gross violation of freedom of expression enshrined in the Constitution of India