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Dominique Sorrente, C’est bien ici la terre par Laurence Verrey

Publié le 17 octobre 2013 par Angèle Paoli
Dominique Sorrente, C’est bien ici la terre,
Éditions MLD, 2012.
Préface de Jean-Marie Pelt.


Lecture de Laurence Verrey

UN CORPS QUI TIENT LE PAYSAGE Dominique Sorrente est un marcheur d’infini sur la sente des mots. Prendre la route avec lui, c’est s’exposer au vertige de tous les possibles, aux mille tours d’un langage qui toujours surprend. Renoncer à ce qu’on croyait connaître du monde pour s’abandonner à la superbe liberté d’une parole qui semble naître à mesure. Le poète lève des formules secrètes, saute d’une rive à l’autre — avec ou sans passerelle —, il interpelle les lettres qui font signe, cherche une vérité où se poser pour reprendre souffle, et s’en va plus loin sans s’attarder ni s’appesantir. Et voilà l’esprit entraîné. Car le pouvoir de cette poésie est d’emporter. Sur les traces d’un monde perdu-trouvé entre points de rupture, de fuite, et temps d’équilibre fragile, de sérénité provisoire. D’entraîner à voir. Rimbaud disait : « Je travaille à me rendre voyant. » Dominique Sorrente fait apparaître un espace, un temps sauvé, qui est lieu d’exercice du regard.

C’est bien ici la terre, son dernier recueil poétique, témoigne d’une conscience aiguë de la vitalité et de la précarité des choses. En alliance avec elles, une langue audacieuse et mobile, bondissante et prodigue — vigueur, légèreté, autonomie des images, comme détachées — donne à voir les mouvements incessants de la pensée, attentive à une planète-terre menacée, vulnérable, mais qui remue encore pour qu’on n’enterre pas les vivants dans un destin à bout de souffle. Comme l’annonce le titre, et à la différence de poèmes antérieurs jetés comme des îles en pleine mer, c’est ici qu’est la terre. Cette matière archaïque, inerte, muette en apparence avec ses gouffres, son énergie sombre, ses tragédies et ses consolations, la pleine terre où sont les morts, c’est elle que le poète vient ausculter, dans les rythmes d’une langue sans nom. C’est ici, nulle part ailleurs, dans le balancement immuable du jour et de la nuit, qu’on peut l’interroger, cette grande métisse du dedans qui ouvre au chant vertical :

« Pour qui danse encore
cette moitié d’ombre ? »

Pour retrouver le souffle perdu des commencements, nulle autre arme que celle de la parole, qui coule irrésistible. Que ces mots sans racines, mais qui connaissent la profondeur sous l’écorce. Et quel pays gagné, quel partage, quel avenir pour les Enfants de demain ? N’est-ce pas à eux que nous empruntons la terre, selon les mots de Saint-Exupéry ? Eux qui déjà réclament leur part d’héritiers, puissent-ils être de ces clairvoyants épanouis par l’immense, et qui transmettront à leur tour à leurs enfants le feu et la fleur, le secret au milieu des arbres.

Recueil de la maturité, souverain et léger, doué d’un feu d’abondance, d’une énergie puisée aux entrailles de la terre. Dans les plis des ombres ou des vents. En neuf chapitres, la voix s’élève et va son chemin inépuisable. Après la « Lettre en rebord du monde », le poète entonne la « Chanson pour une amande ». « Par le point de fuite du cœur, le manuscrit du souffleur de verre, ou par l’enfant à plusieurs voix, quand donc l’amande surgira, ainsi soit-elle ». Voilà le lecteur au cœur du laboratoire secret où les trouvailles de langue dans leur détermination heureuse se mêlent, comme des eaux venues de toutes parts. Et ce courant qui va changeant et résolu, affirmant ses rébus et ses lois, se fraie passage, un mot qui est l’une des clés de l’univers de Dominique Sorrente :

« Une fois par éternité on voit surgir un passage lumineux
qui nous désigne. Il ne faut pas le manquer.
Le temps de nous frôler, il sera reparti. »

Que ce soient les saisons du bout du monde, le fleuve, le vert en sa seconde vie, ou le printemps beau joueur, toutes choses prennent instantanément vie, l’inéluctable trouve une forme d’espérance, l’instant donne naissance à une respiration, les strophes se succèdent en appels et rencontres pressenties. Et si l’égarement a lieu, dans le dédale des idées, au dernier coude du labyrinthe hermétique, une échappée s’offre, une ouverture sur l’étonnement, une révélation subite. Alors le dissimulé s’éclaire, éclate en une loi simple.

Le recueil se clôt sur un dernier chant d’entre deux mondes, « Esquisse pour la vivante ». Entre gisants et amoureux, la vivante, terre ou amante, est flamme, et le poète, vie sauve, un corps debout qui tient le paysage.

Laurence Verrey
D.R. Texte Laurence Verrey
pour Terres de femmes



DOMINIQUE SORRENTE

Domnique_sorrente

Source

■ Dominique Sorrente
sur Terres de femmes

C’est la terre
Écueils
→ J’écris comme on décide par fragments
→ [je suis celle qui se voue à la flamme]
→ Je t’envoie ma chanson des jours bleus
→ Le temps sans rideaux
→ Pays sous les continents
→ Le Scriptorium | Portrait de groupe en poésie

■ Voir aussi ▼

→ (sur le site du Scriptorium de Marseille) un Portrait de Dominique Sorrente




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